J’ai assisté hier soir à une conférence passionnante dont l’intitulé était « TV lobotomie », menée par Michel Desmurget, docteur en neurosciences qui s’évertue à démontrer que la télé, et les écrans en général, sont les enfants du diable et qu’ils nous précipitent vers le chaos d’une fin de civilisation apocalyptique. Je ne vais pas vous faire de compte-rendu tout de suite, c’est un billet qui demande un peu de réflexionage et de grattage de front (j’ai même pris des notes pendant la conf’ (et même des photos parce que c’était beau)).
Pour autant, c’est un sujet qui m’interpelle (sinon j’aurais pas couru sous la pluie avec un parapluie cassé pour arriver en retard à cette conférence) et j’avais déjà, par le passé et sur un autre blog, traité de cette thématique via la lecture de deux ouvrages forts intéressants bien que très différents sur le fond et la forme.
Je ressors donc un billet du placard, ça faisait longtemps que ça m’était pas arrivé !
Note initialement publiée le 1er mai 2009 (ce qui signifie que je travaillais en ce jour de fête du travail, NDLR)
J’ai lu la télévision
Attention, note chiante car vaguement culturelle, garantie sans factures EDF (mais y a des chips et du Coca par contre).
Bon alors j’ai pas fait exprès, je le jure, mais hier en préparant mes affaires pour le boulot, j’ai fourré dans mon sac deux bouquins sans même percuter qu’ils traitaient de la même chose. Enfin a priori (car après lecture, il s’avère que le fond est sensiblement différent).
J’ai donc mixé Chloé Delaume avec son « J’habite dans la télévision » avec Pierre Bourdieu et son « Sur la télévision ». J’avoue que le mariage est cocasse mais franchement intéressant.
J’avais commencé Bourdieu il y a quelques temps mais engoncée dans ma couette et calée entre deux oreillers, j’avais vite piqué du nez et refermé le livre histoire de ne pas le lire dans un demi-sommeil. Ça mérite une attention soutenue tout de même !
Et Chloé Delaume, je l’ai découverte lors d’une émission littéraire et j’avais aimé ce qu’elle disait (surtout parce qu’elle était fan absolue de « L’écume des jours », d’où vient son pseudonyme). Du coup, l’autre jour, alors que je tuais le temps en attendant d’aller voir Ponyo, je suis tombée sur ce roman d’occasion chez l’ami Gibert.
J’ai attaqué par la jeune romancière ce matin. Et j’ai fini par le vieux sociologue ce soir.
Elle a publié en 2006, il a publié en 1996. Les deux ouvrages sont déjà obsolètes dis-donc ! Normal, la télévision est une entité mouvante et la société tout aussi instable. Alors je ne suis pas en train de dire que les deux œuvres sont devenues inutiles, loin de là. Ce que je veux dire c’est que les analyses restent valables sur le fond et la forme, mais on ne peut s’empêcher de rajouter des éléments contemporains à l’analyse et on se dit que ça manque au raisonnement de l’auteur(e).
Je vais présenter vite fait les deux ouvrages.
Chloé Delaume est partie de la citation maintenant devenue célèbre de l’ex-PDG de TF1, Patrick Le Lay, qui avait déclaré « Pour que le message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre, de le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau disponible ». La narratrice a donc décidé de s’immerger durant de longs mois dans les programmes de télévision, et de faire d’elle-même un « sujet d’étude ». Du matin au soir, elle vit avec la télévision. Elle regarde tout, elle écoute, elle maîtrise d’abord, se laisse envahir ensuite, puis finit par être avalée littéralement par son poste et se retrouve à errer dans les couloirs du château de Dammarie-lès-Lys, siège de l’émission de « téléréalisme » Star Academy.
Pierre Bourdieu n’est plus à présenter et ce petit bouquin (petit mais costaud) est la retranscription écrite d’une intervention filmée. Ça s’appelle « Sur la télévision » mais en fait j’ai trouvé que ça traitait beaucoup plus du journalisme que du média en lui-même. Ou alors je n’ai rien compris. Mais Bourdieu n’analyse que les émissions à caractère journalistique, les JT, les émissions de débats, etc. Et c’est là que du coup je trouve cet essai daté car évidemment, en 1996, point d’Internet pour le commun des mortels et je trouve qu’Internet représente une révolution dans le traitement de l’information des masses. À un moment, il évoque les émissions participatives, où on demande son avis à n’importe qui, où on demande aux gens de raconter leurs vies. Qu’aurait-il dit de l’explosion de la télé-réalité et des commentaires des internautes sur les sites d’information générale, y compris sur les sites des journaux qu’il tenait pour « sérieux » dans son discours?
Donc deux auteurs qui tirent à boulets rouges sur le petit écran (ou le grand, vu la taille des postes d’aujourd’hui) mais qui ne visent pas les mêmes cibles. Chloé Delaume charge massivement la télé-réalité et la publicité, qu’elle soit explicite (spots entre les programmes), ou insidieuse (récurrence de certaines marques, voire de certains personnages publics dans les programmes). Bourdieu fustige le conformisme, les partis pris, et le nivellement par le bas de l’information télévisuelle (mais pas que, les journaux papier prennent très cher également). Finalement, ils en arrivent plus ou moins aux mêmes conclusions : la télévision est un instrument d’abrutissement des masses et rien de ce qui y est dit, ou presque, ne doit être pris pour argent comptant. Pire, la télévision n’a d’autre but que de nous présenter une forme de réalité que nous sommes amenés à considérer comme valide puisqu’aucune alternative ne nous est proposée. Qu’on veuille nous vendre du Coca, des chips (passage très drôle chez Chloé Delaume sur les chips), des idées politiques ou des représentations sociales, le procédé est toujours le même : nous servir des archétypes et nous obliger à associer certaines images à des concepts, afin de détruire toute tentative de pensée autonome dans l’œuf. La télévision structure notre emploi du temps (démontré par Chloé Delaume et validé par moi qui me suis arrêtée de lire pour regarder le JT de France 2), et structure notre pensée lorsqu’on manque de repères (Bourdieu).
Je vais parler un peu du style des deux ouvrages car je ne voudrais pas que vous pensiez que le livre de Chloé Delaume est un énième essai sur la télé-réalité. C’est un roman. C’est écrit de manière tout à fait étrange et j’avoue que j’ai eu du mal à entrer dans le vif du sujet à cause précisément du style d’écriture. Je me suis demandée parfois s’il ne manquait pas des mots, qui auraient sauté à l’impression. Mais non. C’est le style. C’est un style pensé-écrit donc la ponctuation est parfois déroutante et on passe du coq à l’âne rapidement dans une même phrase, au gré des associations d’idées de l’auteure. Chloé Delaume maîtrise la langue, c’est une évidence (je te dis pas le nombre de mots que je n’avais jamais vus auparavant (et que je n’ai pas pris la peine de chercher dans le dico)), elle maîtrise les figures de style à la perfection, les jeux de mots subtils, les associations d’idées qui vont piocher à la fois dans la culture avec un grand C et dans la culture populaire et télévisuelle. C’est souvent très drôle car très cynique et imagé. Par contre, des fois, j’avoue que je n’ai rien compris. Elle semble partir dans des délires imaginaires et syntaxiques et même si parfois on ressent la beauté des mots, on a du mal à en saisir le sens. Surtout sur un thème aussi terre-à-terre. Bon et je vous fais grâce de mon analyse du style de Bourdieu, parfaitement clair, professoral, structuré.
Il y aurait plein d’autres choses à dire sur ces deux œuvres mais je vous laisse les découvrir si vous en avez l’envie.
En conclusion, je dirais que je suis tout à fait convaincue par les deux analyses de ces auteurs. Cependant je n’ai pas l’impression de me laisser avoir par le système. La question est de savoir si je suis réellement dans la critique objective de la télévision ou si je suis déjà corrompue par elle. Difficile à dire. Je consomme beaucoup de télévision. J’avoue avoir un goût prononcé pour certaines émissions de « téléréalisme » (terme de Delaume), je regarde volontiers les émissions de reportages, les talk-shows…bref, tout ce qui prête au débat soulevé par les deux auteurs. Pire encore, je consomme beaucoup d’Internet, avec son cortège de sites d’information qui font la course au scoop, ses commentaires haineux et analphabètes, ses blogs aux sources non vérifiées et invérifiables…Et pourtant j’estime disposer encore de mon libre-arbitre. Je lis beaucoup (par rapport au péquin de base), j’écoute de la musique qui ne passe pas chez Daniela Lumbroso…mais est-ce pour autant que je contrôle tout ce qui passe par mon cerveau? Pas sûr.
(crédits photos Delaume, Bourdieu et mire : inconnus. Les visuels seront retirés sur demande)
Le truc surtout avec la TV c’est la société de CONSomation, et avec internet c’est devenu pire. En effet il y a un effet ping pong entre les deux. Les journaux hélas sont partis dans le même sens. _ sauf le Canard Enchainé_ et les feuilles quotidiennes de Liaisons Sociales où on peut lire tous les conflits sociaux dans le public et le privé (à voir si ça ne fonctionne pas directement avec les renseignements généraux !).
L’Etat gouverne, les financiers dirigent, les trusts nous poussent à consommer et nous consument au travail pour les boursicoteurs et autres magouilleurs. Les riches deviennent encore plus riches et les pauvres sont de plus en plus nombreux. Tout ça , avec la crise, est amplifié par les religions diverses, les guerres, les divisions voulues par les dirigeants (à tout niveau), bref peu de place à l’humain de base , à l’ouverture d’esprit, à la créativité, à la sauvegarde de la planète.
@KIKI-129 oulà ! ça fait beaucoup à la fois tout ça ! Mais sur le fond je suis d’accord… revenir à la simplicité est primordial. Mais est-ce réversible ? Pas sûr…