Je ne devais, au départ, pas aller voir ce film. Ni maintenant ni plus tard. Au départ je devais aller voir le dernier Scorsese. Mais malheureusement, notre nouveau cinéma high-tech du centre-ville ne le proposait pas en V.O. Et moi, Di Caprio pas en V.O c’est pas possible. Pourquoi ne pas aller le voir au Capitole alors ? Parce que, trivialité de l’existence, j’avais des places C.E à passer avant le 14 janvier, soit au Paris, soit aux Ambiances (les cinémas CGR de la ville). Choix difficile parmi les différentes affiches mais j’avais vu passer quelques tweets positifs sur ce Guillaume. Je n’ai pas poussé les recherches plus loin, pas lu de pitch, d’avis détaillés, rien.
Après de longues minutes à me demander ce que je foutais là, à observer une mise en scène bizarre sur un sujet rebattu, j’ai fini le film en me disant… whaou ! Retournée comme une crêpe. Et je me félicite du coup de n’avoir rien lu avant à son sujet.
C’est la raison pour laquelle j’invite mes lecteurs à ne pas lire ce qui suit, s’ils ont l’intention d’aller voir le film. S’ils l’ont déjà vu ou s’ils aiment les gros spoilers, ils peuvent continuer, bien entendu.
Guillaume Gallienne a tout d’abord écrit une pièce de théâtre autobiographique, qu’il a jouée, puis il l’a transposée au cinéma (écriture, réalisation et interprétation), avec toutes les difficultés que cela implique. Je n’ai pas vu la pièce mais j’ai déjà vu des adaptations qui m’ont gonflée (Le Dîner de Con, Musée haut musée bas…). Super astuce, Guillaume Gallienne intègre sa pièce dans le film. On l’aperçoit sur scène, il joue, il raconte, ces moments furtifs nous raccrochent au moment présent, celui de la narration. Guillaume est tel qu’il est, « guéri », assumé, et nous explique comment il en est arrivé là. Flash-backs…
Guillaume joue son rôle enfant et adolescent. Et il joue aussi le rôle de sa mère. Cette mise en scène m’a pas mal perturbée au début : la scène de théâtre, le double-jeu avec travestissement… c’est quoi ce délire ? Puis on s’y fait. Il est particulièrement convaincant dans le rôle de sa mère. Car c’est bien d’elle dont il s’agit, au fond.
« Les garçons et Guillaume, à table ! ». Les garçons se sont les deux frères de Guillaume, turbulents et moqueurs. Guillaume est fragile, sensible, très proche de sa mère. Cette dernière est pourtant distante, constamment exaspérée, et n’hésite pas à envoyer des remarques acides dans la tronche de son fils. Son fils ? Celui qui se déguise en Sissi impératrice dans sa chambre ? Celui qui n’aime pas le sport ? Elle le considère comme une fille. Et lui, du coup, pareil et considère sa mère comme un modèle absolu au point d’en prendre le ton de sa voix et ses mimiques. Mais à l’adolescence, ça commence à coincer. À la pension de garçons où ses parents l’ont collé, évidemment ça se passe mal. Il se fait traiter de tous les noms. Derrière l’humour, on devine des brimades, on n’ose imaginer les insultes, les coups. À l’âge adulte, il est temps d’envisager une vie sentimentale, et sexuelle. Avec des hommes donc, puisqu’il est une fille. Mais c’est laborieux, il tombe sur des cinglés. C’est alors qu’un jour, lors d’une soirée entre filles, il rencontre enfin quelqu’un. Et il comprend tout.
L’histoire de Guillaume, c’est l’histoire d’un malentendu dès le départ. C’est l’histoire de sa mère. C’est l’histoire d’Oedipe, presque. Sacrifier un fils pour se le garder éternellement, se garantir un amour exclusif.
Contre toute attente. Malgré les apparences. Malgré l’évidence. Guillaume est hétéro.
J’étais partie dans l’idée que j’allais voir un énième récit d’homosexuel, son enfance, la découverte de son identité sexuelle, les difficultés, la connerie de la société… et au final je prends une claque. Guillaume Gallienne a essuyé tout ce qu’un homo peut envisager de pire : une famille qui a honte et qui le renie, des camarades qui le rejettent et lui infligent toutes sortes de sévices… et tous ces cons ont réussi à le convaincre qu’il était ce qu’il n’était en fait pas. La souffrance, les questionnements, la perte de temps et malgré tout ça, il a réussi sa vie et malgré tout ça, il n’en veut pas à sa mère.

Un récit insolite, tant dans la forme que sur le fond, traité sur le ton de l’humour malgré tout ce qu’on peut légitimement soupçonner de souffrances. Une réalisation soignée avec des effets spéciaux redoutables (simultanéité de présence dans le champ de Guillaume et de « sa mère »). Un jeu d’acteur sensible et subtil même si je regrette quelques gags un peu pesants par moments.
Bref, une curiosité cinématographique rafraîchissante et réjouissante. Nul doute que Spielberg voudra en racheter les droits. Ou pas.
Ce que tu dis de ce film (que je n’ai pas encore vu mais que j’ai très envie de voir), ces étrangetés dans sa mise en scène, l’humour et la profondeur mêlés, me fait penser à « Camille redouble » de Noémie Lvovsky. Un film que j’ai adoré (bien différent, mais un rapport à l’enfance et à la mère aussi) On a des comédiens/metteurs en scène inventifs et touchants dans notre beau pays.
@Laurent : oui donc j’ai également vu Camille redouble, que j’ai beaucoup aimé. Tellement aimé que j’ai apparemment zappé d’en faire un billet sur ce blog (le film date de 2012). Alzheimer me voilà !
nous allons le passer dans ma commune
@KIKI-129 : bonne initiative !