J’avais découvert la Compagnie de L’Abreuvoir à l’occasion de la mise en scène d’une pièce que j’adore, Novecento : pianiste d’Alessandro Baricco. J’avais trouvé celle-ci étonnante, et complètement en accord avec l’esprit de Novecento.
Direction le Sémaphore à Cébazat (ma première dans cette salle) pour une nouvelle création…

J’attendais donc beaucoup de ce Building, dont le thème me paraissait alléchant. Une grande société, et son personnel, de l’accueil au président, en passant par le ménage et les cadres. Et le grand ballet quotidien de toutes ces petites fourmis laborieuses. Consulting Conseil propose des prestations de conseil aux conseillers. C’est le PDG qui nous l’annonce au début de la pièce. Le ton est donné, c’est l’absurdité du monde du travail qui fera les frais de cette pièce et des cinq comédiens présents sur scène.
Difficile de ne pas se projeter dans quelques uns des personnages. L’hôtesse d’accueil nouvellement recrutée se voit imposer un maquillage outrancier, une perruque plus sexy, et même un nouveau prénom. Anecdote personnelle, j’ai connu une demoiselle au prénom oriental qui utilisait un prénom « ben d’chez nous » pour ses 8h de phoning quotidien. On m’a moi-même reproché lors d’un stage ne n’être pas assez maquillée.
Le personnel de ménage voit débarquer une sorte de psy, de médiatrice, censée apaiser les tensions qui existent entre eux. Motif de la discorde : l’un reproche à l’autre de ne pas assez travailler. Anecdote personnelle : euh… non rien, ça c’est tous les jours. La pièce nous offre le spectacle absurde souvent donné par les sessions de développement personnel, et leur cortège de reformulations hypocrites. On ne dit pas « il fout rien ! » mais « je ressens qu’il ne fout rien ».
Pareil pour cette employée, qui s’est démenée pour rendre son rapport à temps, prête à apporter les corrections nécessaires si besoin, et qui, ulcérée, raconte à qui veut l’entendre que sa collègue a corrigé la ponctuation sans son accord et surtout, remplacé les camemberts par des diagrammes. Anecdote personnelle : tous les jours. Partout. Tout le temps. Il faut bien quelques petits cours de yoga pour déstresser (pendant cinq minutes) tout ce petit monde non ?

La hiérarchie est dans ce Building sans visage. Une cagoule noire rend anonyme ces personnages obscurs, qu’on ne croise que rarement, et dont on se demande à quoi ils passent leur temps. À ranger la clé de toutes les fenêtres du bâtiment au dixième étage par exemple. Ou à organiser des soirées arrosées.
Derrière l’humour et l’acidité des situations, vécues par chacun d’entre nous, le discours se fait plus mordant. Le cadre déprimé prêt à se pendre dans son bureau croit reprendre foi en la vie en entendant son employée lui exposer avec excitation ses projets de départ pour retrouver sa passion de la mer. Hélas… ce ne sera que pour un poste équivalent dans une boîte de Picardie. Chez Consulting Conseil on ne rêve pas. Ailleurs non plus. On veut sauver son poste, être reconnu par ses chefs, grappiller des trucs à la cantine, échanger son Babybel contre une denrée équivalente. Paye tes rêves ! Et malheur à ceux qui voudraient ouvrir les fenêtres. D’ailleurs, il ne vaut mieux pas les ouvrir, des pigeons viennent s’y écraser en masse. Ça me rappelle quelque chose. J’ai la même chose au bureau sauf que ce sont des pies. Étrange sensation que d’être rassurée par le fait que les oiseaux se suicident aussi ailleurs, sur d’autres fenêtres, d’autres bureaux.
Je pourrais continuer mais c’est au total trente-cinq personnages différents qui font l’objet de saynètes dans Building. Cinq comédiens, interchangeables, tantôt forts, tantôt faibles. La routourne tourne, comme dirait l’autre.
Entre les saynètes, les cloisons bougent, les fauteuils roulent, les employés de Consulting Conseil semblent danser une chorégraphie relevant plus de la manœuvre militaire que du ballet. Sur le principe l’idée est bonne. On change de thème, les rôles s’inversent, il faut une transition et une rupture avec la scène précédente. Mais j’ai trouvé ces interludes trop longs, cassant le rythme du discours.
Le texte de Léonore Confino est intelligent, bien écrit et particulièrement redoutable de réalisme. On rit, un peu jaune mais on rit. On s’interroge aussi beaucoup. La Picardie peut-être ?
Je me permets un petit complément, puisque je suis ressorti de la pièce moins enthousiaste que toi :
le sujet m’a moi aussi frappé, et pas uniquement parce qu’il rappelle énormément d’anecdotes à quiconque qui est amené à graviter dans un univers fait de bureaux et de hiérarchies.
En revanche, la forme de la pièce m’a dérangé : je n’ai pas pu m’empêcher de focaliser mon attention sur quelques « gimmicks » typiques d’un théâtre pseudo-moderne et qui risque de devenir (voire d’être déjà) très vite daté. Dès les premières minutes je me suis dit « pfff à tous les coups c’est encore une pièce où ils vont finir à moitié à poil ». Et… ***SPOILER*** ils finissent à moitié à poil. Sgroumpf. Idem sur un jeu parfois un peu trop « hystérique » à mon goût, j’ai trouvé par exemple que de dériver sur quelques scènes un peu trop caricaturales affaiblissait la force de l’ensemble du discours (l’entretien d’embauche qui tourne en scène sado-maso, avec fouet et « maîtresse »… hum)
Bon, tout ceci étant dit, j’ai conscience d’être un peu injustement critique, parce que derrière quelques détails qui ont un peu trop retenu mon attention, il y avait un formidable jeu d’acteurs, et une mise en scène impressionnante de précision. Et le sujet est passionnant !
@jdo : c’est parce que tu fais partie des cagoulés ;) Et des soirées au bureau qui finissent en orgies… j’ai connu ça. Je dirais pas où ;)
C’est marrant… je vois au travers de ce post un monde que je n’ai pas vraiment connu. Je n’ai pas travaillé assez longtemps dans le même milieu pour devenir enjeu ou partie prenante des ces luttes intestines. J’ai passé la plus grande partie de mon temps à mon compte. J’ai eu assez d’employés à une période pour voir ces jeux s’installer dans mon entreprise. Je réalise aujourd’hui que c’est une des raisons qui m’a fait fermer la boite au moment de mon divorce. Ces choses-là, je ne sais pas gérer, je ne sais pas supporter!
@sdf de luxe : l’enfer, c’est les autres ! ;) Mais la contrepartie positive c’est qu’on apprend beaucoup sur soi, et qu’avec un peu d’abnégation on arrive à progresser sur son propre comportement…