Un paquet de qualificatifs me sont venus à l’esprit pendant le visionnage de ce film de deux heures. Chiant, lénifiant, mais aussi dérangeant, perturbant…
Her, c’est l’histoire de Theodore Twombly, en plein divorce d’avec son amour de jeunesse. Il travaille dans une entreprise (Beautifully handwritten letters) qui rédige pour des clients des lettres manuscrites dictées à un ordinateur. Theodore est d’ailleurs un employé modèle, dont les lettres suscitent l’admiration de ses collègues en raison de leur grande sensibilité (des lettres, pas des collègues, quoique). Theodore sait que son mariage est perdu mais semble se refuser à essayer de refaire sa vie avec une autre. C’est alors qu’il fait l’acquisition d’un nouveau système d’exploitation pour son ordinateur.
Oui parce que « Her » se déroule à une époque indéterminée. Pas si loin de nous dans le futur, sûrement. Les gens se promènent avec un oreillette sans fil à laquelle ils donnent des ordres avec leur voix. Un petit appareil qui s’ouvre comme un livre permet de consulter des images. Pour le reste, une voix lit les e-mails reçus et égrène les tâches et rendez-vous.
Le nouveau système d’exploitation qui vient d’être commercialisé va encore plus loin. C’est un véritable assistant virtuel, capable d’analyser vos paroles et de converser avec vous comme une personne de chair et de sang. Theodore a choisi une voix féminine pour son nouvel OS et, enfer et damnation, celui-ci prend la voix de Scarlett Johansson. Et si t’as déjà entendu la voix de Scarlett… tu sais que Theodore est perdu pour la nation. Bref, Theodore et « Samantha » vont tomber amoureux et entretenir une relation.
D’un côté, beaucoup de choses intéressantes dans ce scénario, beaucoup de possibilités d’extrapolation à nos usages contemporains des technologies (qui ne sont plus « nouvelles » depuis un bail). La part de notre temps consacrée aux activités « connectées » est de plus en plus importante. Il est maintenant tout à fait normal d’avoir eu plus de conversations dans la journée avec des personnes « online » qu’en face à face. Une des conséquences est l’idéalisation des personnes avec lesquelles on échange, la désincarnation totale. Au final les rencontres « IRL » s’avèrent décevantes(1), comme quand Theodore accepte de rencontrer cette jeune femme magnifique mais avec ses défauts et névroses de femme normale. L’attente est trop grande, la recherche de la perfection est telle qu’on préfère s’enfermer dans la solitude et dans des fantasmes plutôt que se cogner à la réalité de l’être humain, parfois (souvent) moche et un peu (beaucoup) con(2). C’est pour ça que Samantha, désincarnée, dévouée, présente 24h/24 mais déconnectable à volonté représente pour Theodore la relation parfaite et, le croit-il, éternelle. Sans vouloir spoiler le film, on se rend vite compte qu’on ne possède jamais rien de manière définitive, et que tout, tout le monde, peut partir, mourir, disparaître de notre vie aussi rapidement qu’il y est entré. Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec la série « Real humans », où des personnes vont acheter un robot très évolué dans un magasin, et finissent par s’y attacher plus qu’à un humain. Ce que « Her » et « Real humans » tentent de nous faire comprendre, c’est que nos rapports de plus en plus « intimes » avec les machines n’apportent que des satisfactions temporaires à nos désirs, et que tôt ou tard, il faut remettre les mains dans le cambouis des relations humaines.
Ça c’était pour le fond.
Sur la forme… je me demande, avec le recul, si ce film n’est finalement pas une vaste farce pétrie de cynisme crasse. Oui, carrément.
J’ai eu l’impression que chaque plan avait été affublé d’un filtre Instagram. Mais attention, le Rise, le Valencia, le Sierra, le Earlybird, le Walden… que des filtres aux couleurs chaleureuses, façon sunrise d’automne. Dans le monde de « Her », la ville est propre, pleine de couleurs chatoyantes, les hommes romantiques (aucune utilisation graveleuse faite de l’OS-à-voix-de-chaudasse). Les personnages sont tous d’une naïveté confondante. Pour parfaire le tableau, ils sont revêtus de vêtements qui prêtent à rire. Peut-être que ce sera super fashion dans 10 ans mais pour l’heure… des tenues style années 1970 dans ce qu’elles avaient de plus moche… ça consterne plus que ça n’émeut, dans le cas de cette étonnante histoire d’amour.
Le décalage flagrant entre l’apparence bonbon-esque de ce monde et sa société vidée de toute chaleur humaine… j’ai l’impression que ça dessert le message plus que ça ne le valorise. Du coup, est-ce que Spike Jonze se fout de la gueule de Theodore en le faisant passer pour un doux rêveur, cucul, condamné à la solitude et l’insatisfaction ? Ou alors… est-on dans le premier degré pur et simple d’une histoire d’amour trop choupi dans un monde trop génial où ton OS discute de ta vie privée avec d’autres personnes dans ton dos ? Je n’ai, à ce jour, pas réussi à trancher. D’autant que la fin est totalement bâclée, comme si le scénario cherchait le moyen le plus rapide d’en finir. Bref, pourquoi, là, comme ça, du jour au lendemain ? (ceux qui l’ont vu comprendront).
Niveau casting. Chapeau bas, très bas à Joaquin Phoenix, qui occupe quasiment chaque plan du film et qui la plupart du temps se retrouve à jouer seul en faisant semblant d’être deux. Parfois, disons-le, c’est un peu chiant longuet de le voir parler tout seul. Amour éternel à Scarlett Johansson pour cette prestation vocale inédite. Si vous aimez sa voix et si vous avez aimé la petite partie chantée vers la fin, jetez une oreille sur l’album qu’elle a enregistré avec Pete Yorn (Break up). Considéré comme une excentricité au moment de sa sortie, je le trouve plutôt réussi.
La musique est d’Arcade Fire mais comme je ne me suis jamais vraiment intéressée à ce groupe (probablement à tort, je le sais), je n’en ai pas profité autant qu’il aurait convenu de le faire.
(1)Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence, évidemment…
(2)Puisque je vous dis que non ! Aucune ressemblance !
Meme sentiment. La fin, super baclée. Wtf !
Et j’ai lu quelque part qu’une des analyses du film était l’egocentrisme et que Scarlett en fait c’était l’égo de Joachim. Mais j’ai pas accroché a cette théorie. Encore un bobo parisien qui a écrit ca.
Sinon LA c’est vraiment comme ca. Tout est bonbon. Et a Downtown pas de SDF, que des cadres moyens et supérieurs :)
@MK : ouais, la fin, grave !
Et pour l’analyse psychiatrique du film… mouais… même en y repensant j’ai du mal à adhérer à cette théorie.
LA est une photo Instagram géante donc ? Super !
Quel article ! Un film bien sûr imparfait qui pose tout de même plein de questions je trouve. Je suis assez d’accord sur le manque de relief, de progression, tout au long des 2 heures. On finit par ce dire : Que de rouge ! J’aurai aussi aimé que la partie « Amy » soit davantage développée par rapport à « Samantha ». Mais on ne refait pas les films. J’espère toutefois pouvoir à l’avenir, te recommander d’autres films sans risque ;-)
@Laurent : oui, pour le plein de questions je suis évidemment d’accord. J’ai beaucoup aimé le jeu vidéo de Amy avec la super Mum, un des rares moments où j’ai ri de bon cœur.
Tu peux continuer à me recommander des films ou autres productions culturelles ;)
Bonjour bonjour, alors c’est très marrant parce que ça synthétise bien l’idée que je me suis faite de ce film –sans l’avoir encore vu donc– à travers plusieurs critiques/posts et le trailer (qui introduit bien le côté filtre instagram total). Entre 1e/2nd degré, sensibilité, cynisme et perversité, cliché et beauté, connexion totale et incommunicabilité, tout cela doit bien faire écho à l’époque et aux pratiques actuelles poussées un chouilla plus loin pour s’effrayer du monde softement orwelien et, dans une certaine mesure, appauvrissant qui se dessine.
Bref c’est probablement brillant d’avoir fait ce film maintenant avec ces codes. Et même s’il aura ses défauts (heureusement ?) Joaquin Phoenix à lui seul doit valoir le déplacement.
Pour la fin, on verra… :)
@randolph : merci pour ce premier commentaire ici ;) (désolée pour la réponse tardive, j’ai été un peu bousculée ces derniers jours^^). Oui alors je pense que c’est un film à voir, pour le fond bien sûr, pour qui suit de près les évolutions technologiques. Mais aussi sur la forme, pour la prestation Phoenix/Johansson assez inédite dans les 2 cas. Avec le recul, il me reste de cet univers « Instagram » une sensation cotonneuse étrange… pas si désagréable finalement…
N’hésite pas à revenir nous donner ton avis quand tu l’auras vu !