Parce que j’avais beaucoup aimé La vie devant soi, on m’a prêté Les cerfs-volants, de Romain Gary (1980, son dernier roman). J’ai eu un peu de mal à me laisser embarquer dans cette histoire mais la deuxième partie du roman m’a définitivement séduite, et émue.
Fin des années 1930, Ludo Fleury est un adolescent comme tous les autres, ou presque. Orphelin, il est élevé par son oncle, Ambroise Fleury, un original devenu l’attraction de la petite ville normande de Cléry. Le vieux facteur construit des cerfs-volants pour son propre plaisir, ou sur commande. Durement éprouvé par la guerre de 14-18, il se réfugie dans sa passion pour échapper aux affres du monde, tout en affichant son amour pour les grands penseurs ou hommes politiques qu’il apprécie, en les transformant en cerfs-volants. Ludo, au milieu de tout ça, va à l’école et présente des dispositions étonnantes du point de vue de la mémoire : il se souvient de tout. Et comme tous les adolescents, il va tomber amoureux un été, d’une jeune Polonaise en vacances dans la région, répondant au doux nom de Lila. Il ne pourra bien sûr jamais l’oublier, malgré le rival allemand, et cousin de la belle, Hans. Mais les cerfs-volants, les amours d’été, c’est bien joli mais l’horreur gronde en Europe. C’est juste après un séjour de Ludo en Pologne que la guerre éclate. Lila et Ludo sont séparés, et le jeune homme s’engage instantanément dans la Résistance, lui laissant peu de temps pour retrouver la trace de Lila. Si le destin leur donnera la chance de se recroiser, ils n’en passeront pas moins l’un et l’autre aux travers d’épreuves dont des jeunes gens de 20 ans se seraient volontiers passé.
La première moitié du roman pose les bases de cette histoire d’amour. Un jeune campagnard qui s’amourache d’une aristocrate polonaise au caractère bien affirmé, une famille polonaise déjantée, un rival allemand et belliqueux… j’admets avoir eu du mal à accrocher à cette histoire somme toute assez improbable.
Ce n’est finalement que lorsque la guerre a éclaté que les personnages ont enfin pris leur véritable dimension romanesque. Mention spéciale à Marcellin Duprat, le restaurateur du Clos Joli, résistant à sa façon, borné, visionnaire et viscéralement attaché à sa France de toujours. La guerre a révélé le vrai visage de chacun, avec ses coups d’éclat, ses failles et ses contradictions. L’horreur de la guerre, ses dénonciations, ses morts, ses suicides, ses camps mais aussi ses héros, côté français mais également côté allemand, ce qui est assez rare dans les oeuvres de fiction sur la Seconde Guerre Mondiale. Les cerfs-volants, dont la fabrication n’aura jamais cessé malgré les intimidations nazies, sont la représentation de l’espoir et de la foi en l’avenir qui meuvent chacun des personnages de ce roman. Faire voler ses idéaux le plus haut possible, s’y accrocher fermement malgré les vents, les échapper parfois mais les ramasser toujours, pour les reconstruire, plus solides.
J’avoue avoir été très émue de la longue référence (et surtout de son rappel final) au village du Chambon-sur-Lignon. Je ne m’y attendais pas dans un roman qui se passe en Normandie (et un peu en Pologne et à Paris). Pour les non-Auvergnats (ou les Auvergnats) qui ne le sauraient pas, ce petit village du fin fond de la Haute-Loire a été désigné Justes parmi les nations, seul village français à avoir obtenu cette prestigieuse distinction collective de reconnaissance pour avoir protégé et caché des centaines d’enfants juifs (3 500 ?) pendant la guerre. Et ça m’a rappelé l’actualité du moment en Europe. Accueillir la souffrance humaine sans considération de religion, de nationalité ou de quoi que ce soit, me semble être la seule voie possible. Tout le reste n’est que répétition d’une histoire nauséabonde.
Rien ne vaut la peine d’être vécu qui n’est pas d’abord une oeuvre d’imagination, ou alors la mer ne serait plus que de l’eau salée…