Sans la phrase d’introduction écrite au début de la projection, difficile de savoir à quelle période a été tourné ce documentaire, et où. Claudette, Jean-Clément, Christiane, Mathilde et sa fratrie… et leurs innombrables animaux, ils sont tous pétrifiés dans une campagne sans nom, autour de laquelle tourne un monde lointain et inaccessible, incompréhensible.
C’est entre 2002 et 2014 que Christophe Agou est venu tourner dans le Forez, côté Auvergne mais surtout côté Loire, vers Montbrison. Expatrié depuis 10 ans à New-York, le photographe a voulu retrouver ses racines après la tragédie du 11 septembre, fuir la violence. Il a été servi. Claudette et les autres… ils ont 75 ans, ou plus, ou ne compte plus. Leur corps est dans un état de délabrement avancé et pourtant, chaque jour ils sont au cul des vaches, aux poules, aux moutons, aux vignes, sous la pluie, dans la boue. Par choix, par nécessité, pour ne pas tomber, par impossibilité de transmettre leur bien, et de toute façon, avec des animaux, impossible de s’arrêter.
La caméra de Christophe Agou, quasi endoscopique jusqu’à l’écoeurement, sans filtre, sans effets de style, nous plonge dans un quotidien que je n’imaginais même pas, fait de saleté incroyable, d’insalubrité, d’abandon de soi. Mais les vaches, les chatons, les chiens, même tueurs de poules, on ne les abandonne pas, ah ça non ! Et les chers disparus, frère, compagnon… leur fantôme erre toujours dans la ferme, pour l’éternité. On est loin, très loin de l’image de l’agriculture étalée dans les médias, que ce soit au salon de l’élevage, au salon de l’agriculture ou, pardon, dans l’Amour est dans le pré. Alors bien sûr, ce n’est pas une vision représentative du monde paysan aujourd’hui mais c’est un monde qui existe (pour combien de temps encore ?) et que personne ne voit. Qui pourrait imaginer que ces taudis sont encore habités ? La vieillesse, la solitude, la maladie, la souffrance physique et mentale, les errances administratives, le bien-être animal, j’ai mal à ma société dite, par certains, de l’assistanat. Pourtant, au milieu de toute cette misère, subsiste un élan vital surprenant. Claudette qui a la force et le courage d’enguirlander banque et assistante sociale au téléphone, Jean-Clément qui se dresse droit dans ses bottes devant ceux venus lui retirer ses vaches pour suspicion de vache folle, et l’humour, les répliques, les grandes maximes qui parfois ne veulent rien dire mais c’est pour mieux cacher ce qu’on n’ose pas dire, et qu’on devine. Ce film est un concentré d’émotions puissantes, d’ascenseurs émotionnels, on rit, on pleure, on s’indigne, on se dit que la société est bien peu reconnaissante envers ceux qui ont consacré l’intégralité de leur existence à lui filer à bouffer.
“Sans adieu !”, lançait Claudette à Christophe Agou, lorsqu’il repartait pour New-York. Christophe Agou est décédé de maladie en 2015, à 45 ans, sans avoir terminé son film. C’est son producteur, Pierre Vinour, et ses proches, qui se sont battus pour terminer le travail. Ils doivent la sortie du film au soutien providentiel d’un entrepreneur, le président de la société immobilière Quartus, originaire du Forez, qui a sans hésiter mis l’argent manquant sur la table après avoir lu un article de La Montagne parlant du projet. Une belle histoire qui vient adoucir le drame de la mort prématurée du photographe, et qui s’est prolongée avec une présentation à Cannes, et maintenant une sortie en salle le 25 octobre. Vous irez, je vous l’ordonne. C’est un témoignage précieux, un bijou d’humanité resplendissante, sous la crasse et les larmes. Et puis y a Claudette. Vous devez la rencontrer.
La projection était suivie d’un débat avec Pierre Vinour le producteur, Calmin Borel de Sauve qui Peut le Court-métrage et la distributrice Elisabeth Perlié. J’avais envie de poser une question mais j’avais peur de me mettre à pleurer si j’ouvrais la bouche, j’étais bouleversée comme rarement je l’ai été après un docu. Tant pis. Certains protagonistes sont décédés depuis le tournage, mais certains sont encore là et j’aurais aimé savoir s’ils avaient vu le film, et quel était leur regard sur ce miroir tendu, leur quotidien, s’ils arrivaient à prendre le recul que nous, spectateurs, avons forcément.
La musique est signée Stuart A. Staples, du groupe Tindersticks, qui a désormais son rond de serviette au festival du court-métrage. Elle accompagne parfaitement la mélancolie douce-amère des images de Christophe Agou.
Christophe Agou avait exposé des photos à Clermont en 2012, suite à son recueil “Face au silence”, à ce jour épuisé malheureusement.
Une petite revue de presse (dithyrambique)
Télérama
Le Monde
Libé
http://next.liberation.fr/cinema/2017/05/21/sans-adieu-hameau-de-la-fin_1571227
La Montagne sur le soutien de Quartus
J’ai hésité à commenter, tellement cela a fait remonter des souvenirs en ma mémoire, à la tonne! Ce « père Claude » ou le « vieux Claude », je ne sais plus, qu’à l’âge de 10 ans, dans les Alpes, j’avais fini par voir comme un « non humain », tellement personne ne semblait lui prêter plus d’attention qu’à une bête. Ou plutôt devrais-je dire, à qui on prêtait moins d’attention qu’aux bêtes! Ou la première fois de ma vie où j’ai bu de la gnaule, à 10 ou 11 ans (et je n’ai renouvellé l’expérience que bien plus tard, tellement elle fut… d.stabilisante! ;-) ), chez un paysan en Dordogne, qui aurait bien pu figurer dans ce film j’imagine!
Je sors de la séance et ça aurait été une bêtise sans nom de passer à côté de ce film. Je suis encore sous le coup de l’émotion, j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai pensé à mes cousins éloignés qu’on allait voir dans la campagne de Haute Loire qui n’étaient pas loin de cette vie là. Voir ce film le lendemain du « Black Friday », c’est prendre 2 claques au lieu d’une. On ne changera pas la société, mais si on pouvait ne pas oublier d’où on vient… Merci pour la recommandation !!
@Atifouiz : bien contente que ça t’aie plu :) Difficile de ne pas être ému en effet
y a t il un d v d
@noyelle : bonjour, oui il est sorti il y a quelques semaines seulement :)