Tout est parti d’une émission de radio que j’écoute régulièrement en podcast (car elle passe à une heure où je travaille) : Grand bien vous fasse, présentée par Ali Rebeihi. Le titre était “pourquoi le spectacle de la nature nous émeut-il?”, avec pour invité principal Alexandre Lacroix, qui venait présenter son dernier ouvrage “Devant la beauté de la nature”, donc. J’ai trouvé l’émission passionnante, voilà pourquoi j’ai acheté, et lu, le bouquin.
Alexandre Lacroix est par ailleurs directeur de la rédaction de Philosophie Magazine, un périodique que j’aimerais avoir le temps (et l’énergie surtout) de lire plus régulièrement.
Le livre commence par un prologue, qui pose une question aussi bête que difficile “Pourquoi aimons-nous les couchers de soleil ?”. On comprend vite qu’on va avoir du mal à se contenter d’un “parce que c’est joli”. Parce que oui, c’est joli, mais pourquoi est-ce qu’on trouve ça joli ? émouvant ? Ça devient plus obscur (normal, me direz-vous, le soleil se couche). Il est temps de faire appel à la philosophie et à ses prestigieux représentants.
Il convient tout d’abord de définir ce qu’est la nature, avant de savoir si on en retire quelque chose à la contempler. Lacroix évoque les récits de voyage où la nature s’habille de superlatifs qui ne sont qu’un lointain fantasme pour la grande majorité d’entre nous, mais aussi la nature qui est à portée de nos yeux, de nos oreilles, de nos nez, qu’elle soit réelle ou accrochée aux cimaises des musées.
“La nature est là, nous l’avons sous les yeux, elle forme la toile de fond de notre existence. Il arrive par distraction, par fatigue, qu’on passe à côté. Qu’on la néglige. Qu’on l’oublie. Mais il ne tient qu’à nous d’y revenir. Repousser ces rencontres fugaces avec les éléments naturels dans notre contexte habituel, au prétexte qu’elles ne seraient pas assez complètes, pas assez satisfaisantes, et qu’il faudrait attendre d’être dans des sites magnifiques pour s’émerveiller enfin, ce serait comme refuser une pièce d’or parce qu’on préfèrerait en avoir cent. Un genre raffiné d’avarice.”
Des origines des premières théories sur l’environnement (pas si lointaine, début XXe) à la photographie, en passant par les récits de voyage… Alexandre Lacroix balaye le panorama large et varié de notre rapport à la nature. Plusieurs études ont déterminé que la savane (pas au sens de savane africaine, attention) était le paysage préféré des gens, au motif qu’il comprenait l’essentiel à la survie : les arbres pour manger et fuir les prédateurs, les herbes hautes, les rochers pour s’abriter. Bref, une vision supposée utilitaire de la nature. Pour autant, nous sommes sensibles à beaucoup d’autres choses : paysages, animaux, sons de la nature…
Alexandre Lacroix convoque dans son ouvrage de nombreux philosophes, qui se sont tous penchés sur le sujet de la nature, mais pas seulement. J’ai découvert ainsi l’existence de William Gilpin qui à la fin du XVIIIe siècle a inventé le guide touristique (ou le blog ahah), du moins son ancêtre, en rédigeant des comptes-rendus de ses balades avec nombre d’indications qui formeront le genre “picturesque”. La nature qui mérite d’être représentée en tableau serait donc celle qui est belle à regarder. Au point que Gilpin juge un paysage comme il jugerait un tableau. Goethe, quant à lui, attribue aux couleurs des effets sur nos émotions (sans démarche scientifique, mais les couleurs ont fait ensuite l’objet d’études sérieuses à ce sujet). Lacroix va également s’intéresser à celles et ceux à qui il manque un sens, et notamment la vue, pour démontrer que la nature a bien des ressources pour s’exprimer et nous atteindre par sa beauté.
“La nature a le pouvoir de nous guérir du brouillage, de la friture urbaine, de toute cette tension fébrile que nous ingurgitons en permanence dans nos appartements et sur nos lieux de travail, et qui n’a pas la moindre consistance, qui s’évapore dès qu’elle est confrontée à l’évidence première de la terre, de l’air, de la chaleur du soleil ou de l’eau.”
Et puis il y a ce que nous, les hommes, avons fait de la nature : les plages bétonnées, les littoraux dévastés qui n’ont plus grand chose de naturel mais sur lesquels on se presse malgré tout. Parce qu’il reste la caresse du soleil sur notre peau et ça, c’est aussi la nature.
Si l’essai d’Alexandre Lacroix commence avec une question, comme toujours en philo, ne vous attendez pas à repartir avec une réponse (comme toujours en philo) mais avec une réflexion plus riche, des connaissances plus nombreuses, et un regard plus curieux sur la nature qui vous entoure, quelle qu’elle soit.