💥The ultimate guide💥
Alors je vous vois venir (pour certains d’entre vous, les habitués, les piliers), vous devez vous dire que j’ai pété un câble. Du développement personnel, moi ? Après avoir atomisé “Ta deuxième vie commence gneu gneu gneu” (relire ici, je rigole toute seule de me relire) ? Sûrement pas. Réussir sa vie du premier coup, écrit par Yves Cusset, est un anti-manuel de développement personnel.
Yves Cusset est un philosophe humoriste. Et vice-versa. Et comédien. Et ce qui l’agace c’est la prolifération des coachs de vie, manuels de réussite, et plus généralement de ces injonctions à la réussite, au bonheur qui s’étalent dans les magazines et jusque dans les entreprises. Nos sociétés occidentales capitalistes, consuméristes, survoltées, tentent de trouver du sens à leur condition de hamster pédalant sans but dans une roue. Ou plutôt, pardon, des individus tentent de trouver leur singularité parmi la masse laborieuse insipide et cela passe nécessairement par un épanouissement professionnel, rémunérateur de préférence, et par un bonheur insolent affiché aux yeux du monde. Il faut être souriant, détendu, en harmonie avec sa famille, ses amis, la nature afin de pouvoir prétendre sans faillir que oui, on a réussi sa vie. Et si tu n’y arrives pas, c’est de ta faute.
Alors se foutre de la gueule des livres de développement personnel c’est facile, mais quand comme Yves Cusset on a de solides bases en philosophie, et qu’on a un fond humaniste particulièrement développé, c’est encore plus savoureux. Dès les premières pages du livre, il dissèque l’expression même “réussir sa vie” : qu’est-ce que “réussir”, qu’est-ce que “sa”, qu’est ce que “vie”. Et là, le cerveau retourné comme une crêpe, on comprend que le projet est mort dans l’œuf, que derrière ce genre d’expression il n’y a que le vide abyssal d’une illusion pailletée (« je veux des paillettes dans ma vie Kévin ! » (voir en fin d’article pour la réf)). Avec des références philosophiques ou littéraires dont on devine très vite qu’elles n’ont pour but que de parodier les fort peu sérieux guides de développement personnel, Yves Cusset démontre qu’elles ne sont bien souvent que de pauvres cautions intellectuelles pour légitimer un discours qui s’apparente souvent à de la manipulation. Les “nouveaux gourous” en prennent aussi pour leur grade, parmi lesquels le très respecté Boris Cyrulnik ou Christophe André, le médiatique psychiatre, que, je l’avoue, j’apprécie plutôt dans ses interventions sur France Inter. D’autres noms sont évoqués parmi les poids lourds historiques du secteur mais comme je ne lis pas leur production… je n’apprécie pas les piques à leur juste valeur (mais je ne les lirai pas pour autant !). Se font démonter également la méditation ou la pensée positive, qui prennent sous la plume d’Yves Cusset un profil moins sexy qu’il n’y paraît.
“C’est moins grave que si c’était pire”
L’ensemble du livre est à lire au deuxième degré et je dois dire que c’est parfois un exercice intellectuel difficile ! Vraiment ! Comme c’est bien écrit et qu’il est convaincant, on se surprend parfois à lire des paragraphes comme si c’étaient de vrais conseils alors qu’il faut faire l’effort dans sa tête de lire “en négatif”. Heureusement, certains passages particulièrement humoristiques (vraiment très drôles) viennent nous rappeler à l’ordre.

Par ce contre-pied cinglant, Yves Cusset nous dépeint une société de plus en plus individualiste, égoïste, qui fait reposer sur chacun la responsabilité de sa propre situation, de son propre malheur et qui méprise ceux qui se contentent d’exister sans les paillettes. On lit en creux (très clairement parfois) une critique acide de notre hiérarchie sociale, de notre organisation du travail et de nos modes de consommation.
Si ce livre n’est pas un vrai guide de développement personnel, il fait malgré tout du bien (si si !) car les injonctions au bonheur et à la réussite sont aujourd’hui partout. Ça fait du bien de voir les mécanismes décortiqués, ça fait du bien de se dire qu’en prenant le contre-pied on n’en sera pas une mauvaise personne pour autant, et parfois même, au contraire. J’ai attaqué il y a quelque temps déjà l’essai Happycratie, qui est en quelque sorte l’équivalent “sérieux” du livre d’Yves Cusset. Un essai sociologique, historique, économique qui lui aussi décortique cette tendance à vouloir réussir, être performant, être heureux (et docile) et toute l’industrie (ô combien lucrative) qui l’accompagne. J’avoue avoir du mal à avancer dans cette lecture car le texte est nettement plus complexe, et sérieux, et inquiétant, que la parodie d’Yves Cusset (qui n’en reste pas moins excellente et jubilatoire). Mais je vous en parlerai. Un jour.
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Pour aller + loin
Le site d’Yves Cusset, où vous trouverez les références de ses livres www.yvescusset.com
Une interview donnée à France Inter cet été (je pense, sans en être certaine, que c’est là que j’ai entendu parler de ce livre)
www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-05-aout-2019
Une émission de France Culture consacrée au rire (2016)
www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/rire-une-authentique-sagesse
Quelques citations
“Il y a tous ceux, bien plus nombreux encore, qui sont incapables de saisir la chance que le malheur leur offre, tous ceux que la souffrance ne rend pas plus forts, mais bêtement plus malheureux, ce qui, vous le reconnaîtrez, est à la fois absurde et indécent, pour ne pas dire idiot. Car en étant mal informé, on peut passer complètement à côté de sa résilience.” (coucou Boris Cyrulnik)
“Pourtant il n’y a pas de winner sans un tant soit peu de fight, comme l’avait très bien montré un article de Management Magazine sur les bienfaits psychiques du licenciement.”
“Il faut préférer aux affreuses Méditations métaphysiques de Descartes, dans lesquelles il médite d’un bout à l’autre sans être fichu de positiver un tant soit peu, l’excellent Penser moins pour être heureux, qui a aussi l’avantage de se lire beaucoup plus vite et pour un coût moindre, puisque tout y est immédiatement compris dans le titre.”
Bonus paillettes (Ines Reg passe au Zénith de Clermont le 25 novembre 2020)
Je connais quelques personnes qui naturellement (pour ne pas dire par incapacité) pratiquent le « penser moins pour être plus heureux ».
Et je dois dire que ces personnes me fascinent. Vraiment. Elles sont dans un monde qui m’est inaccessible.
@Romain : et moi parfois je les envie. Appuyer sur le bouton « stop » pour reposer mon cerveau, et peut-être contrôler un peu plus ce à quoi je pense, plutôt qu’être obligée de penser à ce qu’on (on = les médias, la société…) me met sous le nez avec injonction d’avoir un avis (tranché, tant qu’à faire). Je dis ça alors que la lecture de ce bouquin est désormais lointaine (pas tant que ça mais ça me paraît une éternité en temps-covid) et que j’ai récemment téléchargé l’appli Petit Bambou. Me voilà sur une mauvaise pente :) C’est gentil de passer par ici Romain, ça me fait plaisir !
Moi aussi ça me fait plaisir !