Le centre photographique Fontfreyde de Clermont-Ferrand propose depuis le 17 octobre une exposition où la perception artistique se cogne, assez violemment, à la réalité documentaire. Avec “Contre-Histoires”, le FRAC Auvergne, le CNAP (Centre national des arts plastiques) et le réseau Diagonal donnent la parole à des photographes ou vidéastes qui interrogent l’histoire, par la fiction, par une vision décalée de la réalité ou par la réalité dans tout ce qu’elle a de plus violent. La frontière est mince, parfois dérangeante, entre l’esthétisation d’un événement, d’une situation, et sa profondeur documentaire. La prise de recul est difficile et nécessaire mais d’autant plus efficace.
Focus sur 3 artistes dont le travail me hante encore, après avoir vu 2 fois l’exposition.

Taysir Batniji
Né en Palestine, il livre un regard aussi cruel que poétique sur la situation de son pays. Et comme il l’expliquait le jour de l’inauguration de l’exposition, les photos exposées n’ont pas été prises par lui, puisqu’il ne peut plus se rendre physiquement sur ces lieux. Il a donc confié à un ami journaliste le soin de prendre les clichés, selon un cahier des charges précis. Une série de photos nous montre des maisons, encadrées d’un texte et le tout donne l’impression, de loin, d’une vitrine d’agence immobilière. Lorsqu’on se rapproche, on constate que les maisons, à Gaza, sont détruites par les bombardements mais que le texte est bien semblable à celui d’une agence immobilière, absurde, cynique, effarant, dans un monde parallèle. L’autre série “Watchtowers”, est un ensemble de photos de miradors israéliens, également prise par un ami photographe, en toute illégalité.
Larissa Sansour
Le film Nation Estate est traité comme un film de science-fiction, dans un monde aseptisé, ultra-moderne, où une femme déambule dans des couloirs immaculés pour rejoindre son appartement tout aussi irréprochable où elle se prépare un repas tout prêt, auto-réchauffé dans sa boîte. Elle contemple le paysage depuis sa grande baie vitrée puis nous quittons l’appartement luxueux pour découvrir de l’extérieur un bâtiment immense, une tour d’ivoire, qui s’élève dans un monde qui semble n’avoir pas suivi les mêmes développements. Confrontation de deux mondes, illustration d’une économie où les gagnants toisent les perdants sans jamais croiser leur route.
http://larissasansour.com/nation_estate.html
Alexis Cordesse
D’abord photographe de presse, Alexis Cordesse a voulu s’éloigner d’un traitement purement informatif des événements pour leur donner une dimension nouvelle, plus testimoniale, où le traitement “artistique” vient donner une hauteur de vue vertigineuse peut-être encore plus puissante que via les médias traditionnels. Il s’est rendu plusieurs fois au Rwanda et en a rapporté des documents poignants, exposés ici dans la dernière salle de Fontfreyde. Trois installations photographiques se répondent, accompagnées de documents sonores. Des photos de bourreaux, accompagnées de citations qui donnent la nausée font face aux splendides paysages verdoyants du Rwanda. Comment un pays aussi beau a-t-il pu être le théâtre, il y a quelques années seulement, d’un génocide d’une telle ampleur ? Comment comprendre ce qui a pu se passer ? Comment analyser la folie meurtrière, aveugle, qui s’est emparée de simples citoyens ? Comment accueillir leur témoignage, soutenir leur regard ? Ce parcours est particulièrement difficile, on n’en ressort pas indemne, surtout lorsqu’on essaie de se remémorer le traitement médiatique de l’époque et qu’on se rend compte qu’on est sûrement passé à côté de l’ampleur de l’horreur. Les morts viennent nous tirer par la manche.
Autres artistes exposés :
Micheal Schmidt
Manuela Marques
Jim Goldberg
Collectif Abounddara www.abounaddara.com
Edith Roux www.edithroux.fr/works/indexFR.php
Ali Cherri www.alicherri.com/pipe-dreams
Hôtel Fontfreyde – du 17 octobre 2019 au 18 janvier 2020
Du mardi au samedi de 14h à 19h – Entrée libre