Il est bien dommage qu’on ne retienne souvent que l’image de la ceinture de bananes portée par la pétulante Joséphine Baker, car sa vie a été remarquable à bien des égards. Noire, partie de rien aux Etats-Unis, mariée adolescente, propulsée star du music-hall en France, résistante, espionne, mère adoptive de douze enfants, égérie des peintres et couturiers, Joséphine Baker a eu mille vies. C’est cette carrière, cette trajectoire aussi chaotique que brillante, riche de rencontres et d’événements que l’Ensemble Contraste, accompagné de Magali Léger, soprano, a voulu mettre en scène et en chansons. Dans ce récital de 15 chansons (ou musiques) emblématiques d’une époque, pas nécessairement interprétées par Joséphine, c’est une ambiance, c’est un Paris festif, un peu gouailleur, un Paris où les Années Folles font place à la guerre, que l’on célèbre au travers de cette personnalité forte.
De Hello Dolly à C’est si bon, en passant par Petite Fleur, La Vie en rose et bien entendu J’ai deux amours, ce sont d’immenses standards de la chanson et du jazz qui se succèdent pendant plus d’une heure, ponctuée de commentaires savoureux et espiègles, toujours instructifs, de la part des musiciens qui semblent s’amuser comme s’ils étaient en train de faire un bœuf dans leur cave. D’ailleurs, si l’écrin de l’opéra-théâtre est toujours un ravissement pour les yeux, je ne pouvais m’empêcher de trouver le lieu sur-dimensionné et de m’imaginer voir ce concert dans l’arrière-salle d’un bistrot parisien, enfumé, un drink à la main et Boris Vian en train de battre la mesure à la table d’à côté. Au cœur de cet ensemble musical virtuose, Magali Léger, iridescente dans sa robe fourreau rouge pailletée, esquissant parfois quelques pas de danse chaloupés, incarne une Joséphine flamboyante, pleine de vie et de malice, dont la voix suave et cristalline ne verse jamais dans la démonstration ou l’excès. Et puis parfois… une émotion plus intense arrive sans crier gare, comme dans La vie en rose où les musiciens cessent de jouer pour former un chœur à vous le crever, le cœur, autour de la soprano, pour une interprétation qui donne une nouvelle dimension, surprenante, à cette chanson qu’on connaît pourtant dans ses moindres intonations. Mention spéciale également à Petite Fleur de Sidney Bechet, dont le saxophoniste nous a livré une interprétation aussi virtuose que bouleversante.



J’ai parlé de Boris Vian un peu plus haut et en faisant quelques recherches pour cet article, je découvre que l’Ensemble Contraste a du Boris Vian à son répertoire. Quelle surprise ! (non, pas du tout). Je vous invite à jeter une oreille, sur YouTube, à ce que propose cet ensemble de musiciens classiques qui n’hésitent pas à explorer tous les courants musicaux : c’est frais, intelligent, et j’ai très envie de les revoir dans d’autres spectacles. D’ailleurs… en 2020 on célébrera les 100 ans de la naissance de Boris Vian et de nombreuses festivités sont prévues, surtout à Paris. S’il pouvait se passer un peu quelque chose à Clermont ce serait tellement chouette… Avis aux programmateurs des salles !
Un grand merci au Centre Lyrique pour l’invitation et surtout pour cette superbe programmation.