Évidemment, en tant que grande fan de Guy de Maupassant, je me suis laissée tenter par cette biographie romancée, mais non sans appréhension. A la plume, un auteur allemand, Arne Ulbricht, qui s’explique (et s’excuse presque) en avant-propos de cette incursion dans le patrimoine littéraire français : Maupassant, ainsi que les autres grands auteurs du XIXe siècle, ont été à l’origine de sa passion pour la littérature française et pour la France. Il m’en voit fort aise. Dans ce roman, il a voulu revenir sur les jeunes années de l’écrivain, avant le succès et avant la mort prématurée. Pour ce faire, il s’est appuyé largement sur les biographies existantes, ainsi que sur la volumineuse correspondance que Maupassant a entretenue avec toutes sortes de personnes, dont sa mère, Gustave Flaubert évidemment et tant d’autres.
On découvre ainsi un Maupassant adolescent, coulant des jours heureux à Etretat avec sa mère et son frère, avant de découvrir l’enfer du pensionnat. On le suit dans ses premiers émois sexuels, dans ses premières amitiés littéraires, dans la guerre et dans sa rencontre, encore adolescent, avec un vieil ami de sa mère : Gustave Flaubert. Et finalement, ce roman biographique est peut-être plus celui de cette relation privilégiée, quasi paternelle, entre le vieux Flaubert et le jeune Maupassant, relation qui tirera non sans mal Maupassant vers le haut, vers toujours plus de rigueur, pour atteindre le succès qu’il espérait tant mais pas forcément dans le style qu’il affectionnait le plus. Car si l’on connaît ses romans, écrits sur le tard (Une vie, Bel-Ami…) et ses nouvelles, on ignore souvent qu’il a commencé par écrire de la poésie et du théâtre mais que ces œuvres ont eu du mal à trouver leur public. D’autant plus que l’érotisme et la pornographie comptaient pour beaucoup dans la ligne éditoriale de ces écrits, pour le plus grand plaisir de Flaubert, semble-t-il, mais moins pour celui des éditeurs.
Je craignais un peu l’aspect romancé de cette biographie, le fait de mettre en scène des personnages célèbres, de les faire parler, échanger entre eux, d’imaginer des conversations qui n’ont peut-être jamais eu lieu… et puis je me suis laissée prendre au jeu. Parce que cette période de l’histoire a vu défiler des noms comme Flaubert, Zola, Goncourt, Daudet… et que tout ce petit monde se fréquentait assidûment. Difficile d’imaginer que les réunions de ces monuments de la littérature se passaient telles qu’Arne Ulbricht les décrit mais après tout pourquoi pas ? Il est en tout cas fascinant de découvrir les petites jalousies autant que les coups de pouce, et si certains ont accroché un poster de Brel, Ferré et Brassens dans leur chambre, moi j’aurais bien aimé un poster de Maupassant, Flaubert et Zola. Quelle brochette ! La quintessence de la littérature ! (je précise que je n’ai jamais lu Hugo à part quelques poèmes, ça fait partie de mes life goals à moyen terme). J’avais peur aussi que cette biographie insiste un peu trop sur la sexualité débridée et compulsive de Maupassant mais l’auteur a su évoquer sans emphase cet aspect de sa personnalité et c’est tant mieux (il y a quelques passages croustillants, je vous rassure, Maupassant reste Maupassant).
Et puis cette biographie, si elle ne nous apprend rien sur la maladie déclarée rapidement par Maupassant, la vérole “la vraie” comme il disait, et sur la précipitation avec laquelle il a écrit durant les dernières années de sa vie, elle nous permet de vivre les choses de l’intérieur, cette frustration devant ce succès qui n’arrive pas, devant Flaubert qui ne cesse de le critiquer (pour son bien) tout en l’encensant, ces éprouvants épisodes de migraines, de fièvres, de perte de vision…
D’un point de vue stylistique, ce roman n’a rien d’un Zola, d’un Flaubert ou d’un Maupassant mais il est plaisant à lire. J’ai passé un bon moment mais je ne sais pas si ce livre est à mettre entre les mains de personnes qui n’ont rien lu (ou quasi) de la bibliographie de ces auteurs ou qui ne les apprécient pas (coucou les traumatisés de Madame Bovary ou du Horla !). Les références sont tout de même nombreuses. Je crois qu’il s’adresse surtout aux fans, comme l’auteur s’assume lui-même, de ces écrivains et de cette période de l’histoire.
Sinon, vous pouvez lire d’autres ouvrages plus conventionnels, comme la biographie d’Olivier Frébourg (je pensais l’avoir chroniquée ici mais apparemment non, zut).
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Je ne suis pas un inconditionnel de Flaubert et encore moins de Zola mais Maupassant représente à mes yeux, au même titre qu’Edgar Allan Poe chez les anglo-saxons, un sommet de la littérature romanesque. « Le Horla » en particulier est un chef-d’œuvre absolu et indémodable. On peut d’ailleurs y voir une analogie prophétique de l’angoisse caractérisant notre époque post-moderne, lorsque l’individu isolé et lucide prend conscience de la fin du monde. « La nuit » et « L’auberge », parmi d’autres, sont également de purs diamants.
@Sylvain : ce que j’aime chez Maupassant, c’est qu’il est capable de la plus grande poésie, de la plus grande délicatesse dans ses descriptions et en même temps de la plus grande noirceur, du plus grand cynisme vis-à-vis de ses contemporains et du monde. Un véritable ascenseur émotionnel :)