Léa Murawiec est une jeune autrice de BD qui signe là une œuvre fascinante. Fascinante déjà par son graphisme. Et fascinante par son sujet, aussi vertigineux que ses lignes de fuite.
Manel Naher est une jeune femme vivant dans une ville étrange, où des noms s’affichent de toutes parts sur les façades. Cliente habituée d’une librairie, elle s’intéresse aux ouvrages traitant de survie en milieu naturel et ne s’intéresse pas vraiment aux sujets populaires du moment. Elle découvre donc un peu tard qu’une jeune femme portant les mêmes nom et prénom qu’elle s’est rendue célèbre avec une chanson. Peu importe, elle et son ami Ali envisagent de quitter la ville pour “le grand vide”. Un jour, elle s’effondre, apparemment sans raison. Lorsqu’elle se réveille à l’hôpital, elle apprend qu’elle a failli mourir… faute de “présence” suffisante. Elle a démissionné de son job, n’a que peu d’amis, voit peu sa famille, a une homonyme célèbre : personne ne pense suffisamment à elle pour la maintenir en vie. Elle va donc devoir suivre un traitement et faire en sorte de se sociabiliser plus. Faire en sorte qu’on se souvienne d’elle et pourquoi pas, accéder à l’immortalité. Quel est le prix à payer pour y arriver ?
Le grand format de cette édition est parfait pour l’immersion dans cette ville tentaculaire où les gratte-ciels sont alignés au cordeau, sans la moindre place pour un bout de verdure. Trois couleurs seulement, et uniquement pour les plans d’extérieur, les plans intérieurs étant traités en monochrome. Le trait de Léa Murawiec est singulier : hyper précis dans les perspective architecturales, et totalement baroque lorsqu’il s’agit de mettre les personnages en mouvement et de retranscrire leurs émotions. Des pages entières sont consacrées au décor, sans personnages, faisant de celles-ci de véritables tableaux.
Cette fable dystopique fait évidemment écho aux dérives de notre société de l’hyper-attention, où il faut se montrer, communiquer, faire le buzz, même bad, pour exister et ne pas sombrer dans l’oubli collectif. Beaucoup d’idées intéressantes sont évoquées dans cette BD, comme la différence de temporalité, l’addiction, la violence des mots et des actes lorsque quelqu’un veut vous empêcher d’atteindre votre but… Je regrette un peu que ça n’ait pas été creusé un peu plus car il y a une belle matière à réflexion, mais la lecture de cette histoire laisse un sentiment de vertige, de tourbillon, particulièrement persistant. Le grand vide n’est finalement pas où on le croyait au départ.


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LE GRAND VIDE DE LÉA MURAWIEC – extrait