Lorsque Pierre Jourde, accompagné de son frère, se rend dans le Cantal pour traiter la succession d’un vieux cousin mort, il est accueilli par un autre décès, celui d’une jeune adolescente du village. Cet événement tragique est l’occasion de voir défiler tout un territoire et même au-delà, et de soulever le couvercle des souvenirs pas toujours très reluisants et souvent très odorants. Pays perdu a fait parler de lui parce que malgré les changements de noms, de lieux, les habitants s’y sont reconnus et se sont ligués violemment contre l’enfant du pays, au point de finir en procès. J’avais donc hâte de lire ce livre qui avait déchaîné tant de passions, et j’étais plutôt confiante dans le talent de Pierre Jourde.
Pierre Jourde nous conte l’histoire de ce village à travers une galerie de portraits qu’il connaît bien, ou moins bien, qu’il a côtoyée dans son enfance. Plus on avance dans le livre, plus la peinture de ce village se fait dure et plus on comprend ce qui a blessé. Mais il n’y a pas chez Pierre Jourde de jugement, de mépris ou de moquerie, juste un tableau sans artifices d’un village du Cantal comme il existe tant d’autres villages en France. L’entre-soi, la vie agricole, l’alcoolisme, la solitude, les hivers interminables, les mariages malheureux, l’hygiène douteuse… Est-ce qu’il en a rajouté ? Rien n’est moins sûr. Mais c’est raconté avec un style et un souci du détail qui sont comme un violent coup de projecteur sur une petite société habituée à vivre dans l’ombre de ses vaches et de ses morts. Et il y a aussi ces mots particulièrement beaux pour décrire ce pays rude mais magnétique : comment douter de l’amour de Pierre Jourde pour ce village ?
Pour en savoir plus sur le conflit entre Pierre Jourde et les villageois : https://www.lemonde.fr/livres/article/2007/06/21/scenes-de-chasse-dans-le-cantal_926470_3260.html
“De nouveau on s’étendra sur la mousse verticale des pentes pour sentir la terre tourner. De nouveau, à la nuit close, on ira derrière la maison voir grouiller les étoiles. On s’endormira en devinant, derrière les murs, l’inépuisable réserve de rêves de la forêt. Forêt pour personne, sans personne, aux chemins tortueux et perdus, forée de grottes inexplorées, qui nourrit nos nuits. Pas encore éventrée par les bulldozers, pas plantée de sapins calibrés, pas transformée en usine à bois.”
“La variété des boissons et des récipients contribue à la légende des maisons sales. Car il faut bien y boire, toute visite exige son canon de rouge, à la rigueur son café. Inutile de biaiser, le verre de sirop peut comporter plus de risques que le vin. On espère vaguement que l’alcool désinfectera un peu. Il y a ceux qui font passer le café dans de vieux bas. Ceux qui le réchauffent dans une boîte de petits pois posée à même le feu. Dans une ferme, l’étrangeté du service atteignit un jour des beautés fabuleuses. Il devait s’agir de verres protocolaires, que l’on sort rarement, réservés peut-être à des invités de marque. Des araignées confiantes les avaient emmaillotés. Le vin fut versé sans autre précaution, et le filet de pinard creva la toile poussiéreuse.”
https://www.librairiesindependantes.com/product/9782072967733/