Lors du dernier festival de Cannes, le prix du jury a été attribué à Kore Eda Hirokazu et j’ai sauté de joie sur mon canapé. Kore Eda, c’est le réalisateur japonais de Nobody knows, de Air doll, de Still walking, de I wish… Que des films que j’ai adorés.
S’il y a des constantes dans ses films, ce sont les enfants, la famille, la solitude des grandes villes et les contradictions de la société japonaise. Ce dernier film, Tel père tel fils, n’échappe pas à la règle. Des enfants, un drame familial, et une société japonaise amidonnée de principes d’un autre âge.
Par contre, avant de vous livrer mon avis sur ce film, je tiens à donner quelques précisions sur les conditions de visionnage. La petite salle n°3 du cinéma Le Capitole était pleine. Archi comble comme je ne l’avais jamais vue. Et remplie de (pardon) vieux. Vieux qui semblaient n’avoir pas mis les pieds au cinéma depuis l’entre-deux-guerres. Pour preuve : cette dame qui nous a demandé devant si c’était bien ici le Capitole, cette autre qui s’étonnait de découvrir la grille tarifaire, celle de devant qui ne savait même pas en quelle langue était le film, celle à ma gauche qui n’avait jamais vu ces écrans « modernes ». Bordel mais c’était quoi ce cargo de vieux ?? Par quel tour de passe-passe se sont-ils tous retrouvés là un dimanche après-midi ? (un peu comme quand ils vont faire leur courses le samedi après-midi, mais en pire). Je n’ai, en principe, rien contre les gens âgés. Mais… MAIS ! Les vieux ça bavasse pendant les scènes et en particulier, ça commente (fort, parce que c’est sourd) les scènes rigolotes auprès de son voisin. Ça glousse gras alors que c’est pas drôle (oui, désolée mais des fois la façon de parler des Japonais peut paraître rigolote mais en vrai, ça ne l’est pas. Sachez-le). Ça pleure et ça se mouche en faisant la trompette. Ça se lève avant la fin du générique en parlant fort et en donnant son avis à chaud-brûlant. Ça crache ses poumons non-stop et ça refuse de mourir avant la fin du film.
Bref, ils m’ont gâché le film.
Sans compter que vu l’affluence, j’étais au deuxième rang devant un écran beaucoup trop grand et qu’en cas de sous-titres c’est extrêmement pénible de faire les allers-retours entre les textes et les images.
Je soupçonne donc ces conditions déplorables de visionnage d’être responsables du fait que j’aie été déçue par ce nouveau Kore Eda.
C’est dit. Déçue.
Le pitch est vite fait, c’est celui de La vie est un long fleuve tranquille. Deux couples sont convoqués à l’hôpital pour apprendre que leurs enfants respectifs, âgés de 6 ans, ont été échangés à la naissance. Et évidemment, on a d’un côté le petit couple bien propre sur lui, aisé, et de l’autre, la famille Groseille avec trois enfants (pas courant au Japon) et sans le sou. Comme chez Chatiliez, c’est l’infirmière frustrée qui a échangé les bébés pour se venger. Par contre, contrairement au célèbre film français, celui de Kore Eda n’est pas traité de façon humoristique du tout. L’heure est grave pour les parents du petit Keita, qui avaient mis tant d’espoirs dans son éducation, ses leçons de piano et son avenir professionnel. La famille du petit Ryusei entrevoit surtout les indemnités à recevoir de la part de l’hôpital et prend les choses avec bonne humeur. L’avocat de l’hôpital leur conseille de procéder à l’échange sans tarder, mais ils souhaitent faire les choses progressivement. Du coup, tous les week-ends, les enfants échangent leurs parents pour les apprivoiser. Évidemment, Keita s’épanouit chez les Saiki avec sa fratrie, une maman rigolote et un papa bricoleur et blagueur. Par contre Ryusei laisse tout ça derrière lui pour trouver une maman effacée et un papa absent et froid comme la banquise. Jusqu’à l’échange définitif, qui va s’avérer compliqué des deux côtés. Et je ne dévoilerai pas la fin.
En parlant de la fin… je suis déçue par celle-ci. Chez Kore Eda, les fins sont souvent des douches écossaises. On croit que ça finit bien et hop, ça finit mal. Je dois être un peu maso mais j’aime bien ça, ça change des happy ends et ça donne aux films une saveur aigre-douce qui fait qu’on s’en rappelle longtemps.
Autre motif de déception, j’ai trouvé la narration très carrée, téléphonée, et le rythme beaucoup plus rapide que dans les précédents films. Je dirais même un rythme narratif très occidental. M’ont manqué tous ces longs moments contemplatifs, descriptifs, ces instants suspendus au-dessus d’un plat ou d’un rayon de lumière. Ce film n’a pas l’esthétique des précédents.
De la même façon, Kore Eda n’a pas donné suffisamment de place à mon goût aux enfants. Lui qui sait si bien les filmer, avec tant de naturel et de fraîcheur, a préféré donner la parole aux adultes, dont les réactions et émotions m’ont paru parfois artificielles. Les moments de grâce du film sont bien évidemment à mettre au crédit des enfants. Le clin d’œil de Keita à sa mère biologique, les « pourquoi ? » désarmants de Ryusei…
Je ne dis pas que je n’ai pas aimé le film. Je dis seulement que je l’ai trouvé en dessous des précédents. On retrouve bien évidemment les mêmes ingrédients cités au début de ce billet et forcément, je ne peux m’empêcher de comparer. Kore Eda est un réalisateur sensible, avec une identité forte et un talent exceptionnel pour saisir l’émotion, et ce dernier film n’y échappe pas. Je pense toutefois qu’il s’est laissé enfermer dans un scénario rigide qui l’a détourné de ses points forts. Enfin, je dois reconnaître que ce scénario, connu par cœur par les Français, ne m’a pas aidée à apprécier le film à sa juste valeur.
P.S : Spielberg a tellement kiffé le film qu’il a acheté les droits afin d’en faire un remake. J’appelle pas ça un hommage, j’appelle ça du foutage de gueule. « Tes tronches de Japonais ne feront pas venir les gens au cinéma, alors je vais y mettre Ryan Gosling et Jennifer Lawrence (ou d’autres tronches bankable) pour que le film soit commercialement rentable ». WTF ?
MERCI pour ta réaction sur l’annonce de Spielberg, que j’ai découvert hier soir en me documentant sur le film. J’ai pensé exactement la même chose, je trouve ça vraiment méprisant pour les cultures des autres pays, les remakes.
(et sinon, le film m’a profondément touché, pour ma part, j’y ai repensé toute la soirée. Je ne vais pas glisser dans le cliché « ouais mais moi j’ai des enfants, donc ça me touche plus », mais en tout cas ça m’a ramené à des périodes où je me posais de nombreuses questions sur ma capacité à être père et à me projeter sur ma progéniture).
Bien envie de découvrir l’oeuvre de ce monsieur du coup, maintenant !
@jdo : le seul intérêt que je puisse voir à un remake, c’est la contextualisation. La façon dont le « problème » peut être géré en fonction des cultures justement. Mais il faudrait que les 2 films coexistent dans les salles et je ne donne pas cher du film japonais une fois que son équivalent US sera sorti !
Une partie de la filmographie du monsieur est à ta disposition où tu sais ;)
Je crée le mot » gériacisme « . Je l’ai « googlé » : il n’existe pas peut-être parce qu’on ne peut pas faire preuve d’ostracisme envers ce que l’on sera soi-même un jour !
@Mum : quand je serai vieille (si les ondes ne m’ont pas dévoré le cerveau d’ici là), je prendrai soin de ne pas aller au ciné (ou dans les magasins, dans les transports, etc.) les week-ends. D’une pour ne pas gêner les « actifs », de deux parce que de toute façon je préfère y être tranquille. Faire subir aux autres ce qu’on m’a fait subir, non merci.
On verra,on verra !
Euh… non!!
Alors moi, je crée « presbycisme ». Racine grecque également, à peu près synonyme d’après un helléniste débutant. J’ai googlé aussi…
A part ça, bonne année à tous ceux qui passent par là et aux vieux en particulier.
Premier commentaire de l’année : il va falloir que je m’accroche pour garder en 2014 ma place de commentatrice assidue.
@Val : je vois que la révolution gronde sur ce blog ;) Les vieux ont encore de la ressource ! Et ça veut toujours être premier en plus… :)
Merci Val . Je connaissais le mot presbytie bien sûr puisque j’en suis atteinte ( « les vieux ça » voit pas clair ) mais j’ignorais le sens du mot presbus . Je ne me suis intéressée aux racines grecques que sur le tard. Mais on apprend à tout âge,n’est-ce pas ? Pourvu que je m’en souvienne ! (les vieux ça….)
Bonne année à vous et à tous les autres commentateurs .
@Mum : ça devient un salon littéraire ici ou quoi ?
Et oui, c’est sans-gêne les vieux ! Tu entr’ouvres la porte de chez toi, et hop, on s’installe comme chez nous ;-)