…Il faut tenter de vivre ».
Ces vers sont de Paul Valéry. Ils figurent en exergue du film et même dans le film. Et en français s’il vous plaît ! Quel honneur et quelle émotion que de trouver une telle citation dans ce qui doit être le dernier film du grand Hayao Miyazaki.
Au programme du mercredi 22 janvier dernier au cinéma Les Ambiances, le film en V.O, bien sûr, mais aussi une introduction par Maïko Gotani, mon amie de l’association JANA, et un petit jeu orchestré par Radio Campus et la librairie Momie Manga. Résultat, une salle pleine et une deuxième réquisitionnée pour pouvoir accueillir tous les fans. Drainer le public dans les salles obscures n’est pas si compliqué, il suffit de proposer des animations de qualité, CQFD.
Les interventions de Maïko avant les films japonais sont toujours passionnantes. Là encore j’ai appris des choses très intéressantes. « Le vent se lève » est le titre d’un roman célèbre au Japon, datant de 1938. Le titre est donc emprunté à un vers d’un poème de Paul Valéry, « Le cimetière marin ». Le roman relate l’histoire d’une femme malade. Dans le film de Miyazaki, on trouvera également une femme malade, celle dont Jiro Horikoshi va tomber amoureux. C’est la première (et donc la dernière) fois que Miyazaki met en scène des personnes qui ont réellement existé. Jiro Horikoshi est un ingénieur japonais à l’origine de la conception d’un petit avion, le chasseur « Zero », qui évidemment servira à l’armée lors de la Seconde Guerre Mondiale. Concernant le sous-titre du film, Maïko a mis en parallèle l’affiche de Princesse Mononoké et celle de ce dernier opus. Le mot « vivre » y figure mais avec deux sens différents. Là où Princesse Mononoké nous exhortait à vivre pour les autres, Le Vent se lève propose de vivre pour soi. Il faut tenter de vivre. Miyazaki, qui s’est attelé à l’écriture de ce film dès 2010, a été profondément marqué par le séisme de mars 2011, et le film en est imprégné. Merci Maïko pour toutes ces explications précieuses !


Le Vent se lève nous raconte donc l’histoire de cet ingénieur, Jiro Horikoshi, de sa passion d’enfant pour les avions, jusqu’à sa brillante carrière chez Mitsubishi, à concevoir des appareils destinés au combat. Doux rêveur, amoureux, Jiro ne vit que pour la beauté et la perfection des appareils qu’il conçoit, frustré du retard technologique du Japon par rapport à l’Allemagne. À force de travail, d’échecs et de remises en question, il finira par mettre au point un petit avion de chasse extrêmement rapide et maniable, immédiatement récupéré par l’armée japonaise. L’histoire s’arrêtera là, de la guerre nous ne verrons rien car ce n’était pas le propos de Miyazaki.
Miyazaki a dû faire face à de nombreuses critiques contradictoires. Certains l’ont accusé de brosser un portrait flatteur du concepteur de cet avion de guerre redoutable. D’autres au contraire lui ont reproché son positionnement anti-militariste dans un contexte houleux au Japon. Je craignais en effet cette incursion du poète Miyazaki dans une histoire compliquée et évidemment douloureuse. Ce que j’aime chez Miyazaki c’est la folie douce, les personnages « mascottes », l’onirisme permanent. Rien de tout cela dans ce dernier film. Sauf pendant les rêves de Jiro, où il se permet quelques délires à base d’aéronefs fantastiques, tels qu’on a pu en voir dans ses précédents films. Car si Jiro Horikoshi et Hayao Miyazaki ont un point commun, c’est l’amour des aéronefs. Il y en a dans tous les films de Miyazaki, qui leur fait prendre toutes les formes possibles et imaginables.
A la sortie de la salle de cinéma, j’ai entendu des commentaires dithyrambiques. Certains affirmant même que c’était son meilleur film.
Je suis pour ma part un peu plus nuancée. J’ai beaucoup aimé le film. Je frissonne encore de ce passage du tremblement de terre, inattendu, saisissant. Un souffle, un râle, la terre éructe et en un instant c’est le chaos total dans Tokyo, à feu et à sang. Je me souviens de mon émotion lorsque Jiro prononce ces fameux vers de Paul Valéry, en français. J’ai été séduite par la jolie et dramatique histoire d’amour. Les images sont comme d’habitude somptueuses, avec des décors extraordinaires de précision et de réalisme.
Ce qui m’a gênée dans ce film c’est précisément le réalisme, mais du scénario. Ou du moins, l’interprétation personnelle de faits historiques. Que Jiro Horikoshi n’ait pas voulu et anticipé l’utilisation qui allait être faite de son avion… j’ai un peu de mal à y croire. Qu’il ait été un ingénieur passionné, peut-être, mais pas ignorant de la situation du monde et des clients de Mitsubishi. En ce cas, pourquoi travailler pour une entreprise qui fournit l’armée ? Pourquoi l’utopie n’a-t-elle pas vaincu le patriotisme ? Moi j’aurais voulu que Jiro claque la porte dès la première apparition des militaires sur la piste d’envol, j’aurais voulu qu’il renonce à la folie des hommes et même à sa passion, par respect de ses convictions (s’il en avait vraiment) et aussi par amour pour la femme malade qu’il n’aura même pas pu accompagner dans ses derniers instants. La passion de Jiro pour ses avions l’aura conduit à deux échecs. « Il faut tenter de vivre », un acte doublement manqué pour Jiro ? Si Miyazaki nous livre son film le plus personnel, qu’essaie-t-il de nous dire ? Son profond dégoût pour la guerre ? Il nous l’a déjà amplement démontré dans ses précédents films.
Malheureusement pour moi, ce film ne sera pas son meilleur dans mon classement. Mais comme il est un habitué des annonces de retraite, comme lors de la sortie de Ponyo, je peux encore espérer un nouveau film d’ici quelques années ! Et cette fois je veux du Chihiro, du Totoro, du Navet, du Calcifer, du sanglier, de la sorcière… bref, je veux rêver.