Il aura suffi d’un petit mot envoyé à la bonne personne, « OK, j’en suis », pour recevoir les instructions. Lieu de rendez-vous, heure, équipement. Gants, vêtement chaud, lampe de poche ou frontale, sac plastique. Opération commando ou spéléo ?
C’est presque l’heure, mieux vaut ne pas être en retard, pour ne pas rester sur le carreau. Ils arrivent au compte-goutte, un à un, ou par grappes de deux ou trois. Discrètement ils s’assoient sur les bancs, s’adossent au mobilier urbain, feignant de consulter leur smartphone. Regards en coin, conversations discrètes, tous attendent le top départ. Le lieu est annoncé, ce sera en face, dans ce bâtiment désormais fermé, ancien et regretté haut lieu des soirées clermontoises pendant le festival du court-métrage. L’ancienne gare routière, après des fouilles sans fin et des projets en suspens, s’ouvre au public le temps de quelques heures interdites. A la queue leu leu, sans tapage mais en toute décontraction – rien de pire que d’arborer un air coupable – la trentaine de personnes réunies pour la soirée pénètre dans le bâtiment.
Coquille vide, ouvertures à tous vents, béton béant. Le chemin est jalonné de bougies. Pour l’instant pas besoin des lampes de poche, le jour nous accompagne encore. Au pied des escaliers, une musique se fait entendre au-dessus. Laissons-la nous guider. Au premier étage, dans un coin d’une grande salle vide, le groupe joue déjà. The Delano Orchestra, fleuron de la scène clermontoise, à l’univers souvent sombre mais onirique, envoûtant. Un à un les spectateurs prennent place par terre, au milieu des gravats et de la poussière. Certains allument une clope, ou sortent une bière. Envoyez la musique !
« Everything » pour bien commencer puis les titres s’enchaînent, « Wake up »… trop vite. Fascination du lieu, proximité de cette formation de quatre musiciens. Guitares, violoncelle, trompette. Ah ! La trompette… je regarde, soucieuse, les fenêtres ouvertes, les brèches dans le béton, et je pense à ces passants, en bas, qui entendent et se demandent d’où proviennent ces mélodies. Et si quelqu’un venait ? Frisson d’excitation, l’interdit n’a jamais été aussi doux, là, dans les gravats. L’extraordinaire « Outro » vient clôturer ce set acoustique, un de mes morceaux préférés, qui me rappelle des soirées d’été sur mon balcon, il y a quelques années. Pas de rappels. Il faut vite éteindre les projecteurs, il fait désormais tout à fait nuit et depuis la rue on pourrait nous repérer, si ce n’est pas déjà fait. Quelques minutes à arpenter le lieu dans le noir, à la lueur de nos lampes de poche, avant la suite du programme. « Attention aux trous ! ». L’exercice n’est pas sans risques, en effet. Le temps de raccompagner les musiciens vers la sortie, et c’est l’heure de grimper un étage supplémentaire.
Un vidéoprojecteur attend les spectateurs pour une séance de courts-métrages sur le thème de l’exploration urbaine. L’urbex, pour les intimes. Urban exploration, in English. L’urbex est tendance, ces temps-ci. Je suis moi-même en train de lire le livre de Jordy Meow, « Nippon no haikyo » shooté au Japon. Même le FRAC Auvergne avait fait de l’urbex son affiche, lors de l’expo « L’œil photographique ». Le genre fait l’objet de débats passionnés entre envie de partager et nécessité de garder un secret protecteur sur ces lieux fascinants, vestiges d’une activité humaine souvent disparue. Un premier film « Crack the surface » nous plonge dans l’univers de ces groupes, qui grimpent sur les bâtiments ou qui descendent dans les entrailles des villes, juste pour le plaisir de se faire peur, de voir la vi(ll)e autrement, de faire une photo que personne d’autre n’aura. C’est ensuite un « Henri » rongé par les bruits, du plus infime tic-tac au tumulte de la ville, qui nous enferme dans sa névrose en noir et blanc, oppressante et à l’issue douloureuse. « Henri », alias Joann Guyonnet, c’est marrant parce que j’ai eu l’occasion de travailler avec lui, il y a quelques années. Compositeur, acteur, touche à tout… j’étais loin de m’imaginer le retrouver dans ces circonstances. Puis « On vous enfume », cavalcade de (joyeux) explorateurs urbains et souterrains. Et enfin « Kupari » voyage saisissant dans une station balnéaire à l’abandon, triste, fantomatique squelette d’une société de loisirs balayée par la guerre et dont les vestiges n’ont jamais été démolis. Fin des films.
On plie bagages. Ballet de faisceaux lumineux dans les escaliers. J’ai cru voir passer une chauve-souris, laissons-la tranquille dans son vaste palace de béton. Il faut sortir, rapidement, discrètement, mais toujours avec l’air détaché de celui qui n’a rien à se reprocher. Merci pour tout et au revoir. Pas d’effusions. Les spectateurs s’égaillent dans la nuit, croisent ceux de la Maison de la culture, qui ont passé leur soirée dans les moelleux fauteuils de velours rouge et qui traînent sous les lumières éclatantes du bâtiment.
Cette impression de sortir de l’armoire de Narnia, d’avoir vécu une aventure fantastique que personne ne croira, ne me quittera pas jusqu’au sommeil. Encore !
Festival UNDERFEST, une semaine de concerts et projections pirates, du 23 au 27 juin 2014 à Clermont-Ferrand. Un grand merci à la Clermontoise de Projection Underground pour l’initiative, l’organisation et l’accueil.
La vache, j’arrivais plus à retrouver cet article qui m’avait beaucoup plu et qui présente quelques points communs avec l’underfest :
http://www.framablog.org/index.php/post/2012/05/15/urban-experiment-hacker
Chouette ton billet, ça devait être bien décalé ;-)
Dom.
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@Dom : ah ben merci ! On m’a parlé de cette histoire de Panthéon pas plus tard que ce soir, juste avant ma 2e session Underfest ! :) J’ai maintenant tous les détails, merci !