Mason a 6 ans au début du film. Il en a 18 à la fin. Pour de vrai.
Des films qui nous racontent la vie d’une famille sur plusieurs années, c’est du déjà vu. Maquillages approximatifs, effets spéciaux peu naturels, changements de comédiens hasardeux… Les artifices du cinéma sont souvent bien perceptibles par le spectateur qui tente tant bien que mal d’en faire abstraction. Pour Boyhood, les comédiens se sont retrouvés, chaque année pendant 12 ans, pour quelques jours de tournages. Seul pitch clairement identifié : les douze ans de scolarité d’un garçon américain, jusqu’à son entrée à l’université.
Mason a six ans et vit avec sa mère et sa sœur aînée Samantha. Le papa n’est pas là, en vadrouille avec son immaturité quelque part en Alaska.
Mason a dix-huit ans et vient d’obtenir son « bac ».
Et entre les deux ? La vie. Familles recomposées, beaux-pères, premières amours, les devoirs de l’école, les vacances avec papa, la première cuite… Rien de spectaculaire et pourtant on ressort K.O de ces 2h45 de vie compressée. Cette vie en accéléré, ces tranches de quotidien parlent à tout le monde et on se dit que ces 12 ans sont en quelque sorte passés aussi vite pour chacun d’entre nous. Ce qu’il y a de spectaculaire et de troublant dans ce film, c’est que la mécanique, bien visible, est le moteur de l’émotion. Je ne sais pas si je suis très claire… En principe, pour se laisser embarquer par une histoire, c’est mieux de ne pas en voir toutes les coutures. Là non. On sait que ça a été tourné sur douze ans et tout se mélange. Patricia Arquette, qui joue la mère, prend ride sur ride et kilo sur kilo, elle a beau être une comédienne renommée, elle n’en reste pas moins femme, qui vieillit. Sa dernière scène est déchirante, ça reniflait ferme au rang devant moi. Je n’aurais pas aimé être à sa place en salle de projection pour la première. Mason, l’hallucinant Ellar Coltrane, passe du petit garçon à la bouille craquante à l’ado boutonneux, puis au jeune homme au regard à tomber en amour. J’ai retrouvé le Ethan Hawke qui me faisait fondre il y a des années. Apanage des hommes : le poids des ans lui a fait prendre quelques pincées de charme en plus (bon, sauf la moustache de hipster plouc à la fin mais elle était nécessaire pour marquer le passage du temps chez ce personnage).
Le temps qui passe, la vie qui nous file entre les doigts, les erreurs, les choix qu’on fait à l’instant T qui se transforment tantôt en croix à porter toute sa vie, ou en anecdote insignifiante sur l’échelle du temps… Richard Linklater, le réalisateur, ce dément dans le cerveau duquel a germé ce projet insensé, a parfaitement réussi, tout en sobriété et en sensibilité, nous faire toucher du doigt la matière souple et néanmoins rugueuse du temps qui passe.
Véritable OVNI cinématographique, porté par des comédiens dont on a l’impression qu’ils ont véritablement vécu ensemble toutes ces années, Boyhood est la démonstration que le cinéma n’a pas besoin d’en faire des caisses pour être efficace. Il suffit d’une bonne idée, de persévérance et d’une sensibilité maîtrisée en subtilité pour en faire une fresque quasi historique. J’ai noté les plans (un peu trop) appuyés sur les appareils technologiques témoignant d’une époque précise. Consoles de jeu et téléphones portables sont autant de marqueurs temporels auxquels nous ne prenons pas garde et qui participent, bien malgré nous, à la construction de notre histoire personnelle.
Pari insensé que ce film, nécessitant de réunir les mêmes comédiens chaque année, en même temps, en espérant qu’ils soient tous disponibles (et pas morts… quoique… le scénario s’en serait accommodé). Insensé mais réussi. Je suis persuadée qu’il ne pourra que se bonifier avec le temps et qu’on le regardera avec encore plus d’avidité et d’émotion dans dix ou vingt ans. D’ailleurs, j’ai déjà envie de le revoir…
Une belle invitation pour aller voir ce film qui semble être hors du commun !
@Marie : oui, rien que la performance, bien loin des standards « vite fait bien fait, le temps c’est de l’argent », vaut le déplacement.
Pareil, comme souvent, tes critiques donnent très envie de voir le film… Les producteurs devraient te céder un pourcentage :-)
@jdo : le début de la richesse… ou pas.
Ce film me fait penser à une série documentaire dans les années 80, qui s’appelait « Que deviendront-ils ? ».
Au départ, le réalisateur avait filmé les élèves d’une classe de 6ème et cette première émission avait été diffusée. Puis chaque année, il retournait les filmer et on pouvait voir leur évolution, au fur et à mesure. Ca avait duré une dizaine d’années, puis il y avait eu une ou deux émissions complémentaires. Depuis plus rien… (à ma connaissance)
J’espère que le film Boyhood va donner l’idée à une chaîne de rediffuser ces émissions, voire de retrouver aujourd’hui les quadragénaires qu’ils sont devenus.
@Val : je n’avais jamais entendu parler de cette émission… intéressant aussi !
Ah, encore une fois, je ne vais pouvoir resister… A ajouter sur ma « to do » liste! :-)
@sdf de luxe : yes ! Vraiment à voir…