La ville de Clermont-Ferrand accueille jusqu’au 23 novembre une double exposition exceptionnelle, répartie entre le musée d’Art Roger Quilliot à Montferrand et le musée Bargoin. Reconnue d’intérêt national par le Ministère de la culture, elle invite les spectateurs à se faire un peu violence et à oublier tout ce qu’ils savent, ou plutôt, tout ce qu’ils croient savoir sur « nos ancêtres les Gaulois ».
Pour découvrir cette exposition, j’ai opté pour une double visite commentée. Je recommande vivement de se faire accompagner sur les deux parcours : la richesse exceptionnelle des pièces exposées ainsi que la complexité de ce peuple et de ses représentations n’en seront que plus accessibles et mises en valeur.
J’aurais, pour ma part, préféré faire le parcours inverse : commencer par l’archéologie à Bargoin et terminer par les Beaux-Arts au MARQ. En effet, pour comprendre et apprécier l’expo de ce dernier, il faut avoir quelques éléments concrets archéologiques et historiques à se mettre sous la dent. Du coup je vais commencer par Bargoin.
Et pourquoi « Tumulte gaulois » au fait ? Parce que tumultus gallicus. Tout simplement. Tu sauras en allant voir l’expo.
Difficile de présenter ce peuple gaulois. De tradition orale, il n’a laissé aucun écrit digne d’intérêt. Ce qu’on sait de lui est essentiellement décrit dans les textes antiques et bien sûr… il s’agit de récits de batailles donc forcément orientés bataille et… ennemi. Par contre ce qu’on sait c’est que nos « ancêtres » n’étaient pas exactement répartis sur le territoire « français » tel qu’on le connaît aujourd’hui. Les cartes nous indiquent que ce peuple s’étalait jusqu’en Europe du Nord et de l’Est. Première idée fausse balayée !
Ensuite… on ignore totalement à quoi ils ressemblaient. Deux superbes statues stylisées trônent au musée Bargoin, la plus grande datant du tout début de la période des Gaulois. Elles nous en disent peu sur l’apparence de ce peuple. Physionomie, habillement… toutes les représentations connues sont apparues au XIXe siècle, comme on le verra au MARQ. Peu de chances donc pour que l’image du type moustachu et aux tresses de Laura Ingalls soit conforme à la réalité… Quant au casque à ailes… là encore, il pourrait s’agir d’une erreur d’appréciation des archéologues de Napoléon III, confondant des protège-joues avec des ornements ailés. Et le cheval ? Plutôt de petits gabarits. Vercingétorix sur un poney ? La honte ! Bon mais ils bouffaient du sanglier quand même ? C’est marqué dans Astérix ! Peut-être, mais les Gaulois pratiquaient l’élevage, aménageaient des fermes. Ah bon ? Mais les cases à toit de paille alors ? Non plus. Des maisons de bois et de terre. On le sait notamment grâce aux découvertes exceptionnelles faites sur le site de Corent, à quelques kilomètres de Clermont. Tout un village découvert (les vestiges, bien sûr), avec ses maisons, son sanctuaire, son marché, sa taverne et même son hémicycle. Découverts également, des poteries, des outils, des bijoux, des casques d’apparat somptueux, en or, des armes, des cottes de mailles témoignant d’un artisanat très pointu. Et à Corent, dans la taverne, on buvait du vin italien. Les échanges commerciaux étaient donc déjà bien développés, avant même la guerre des Gaules. Et à propos de guerre des Gaules… la bataille de Gergovie a bien eu lieu quand même ? Oui. Ça, oui. Ouf. Sauf si César a mythonné*. Par contre, chez les Arvernes de 2014, ça parlemente encore sec au sujet du lieu réel de la bataille, dont certains voudraient qu’elle se soit déroulée sur les côtes de Chanturgues. Les spécialistes sont formels, on a retrouvé des armes romaines uniquement sur le site de Gergovie. Catapultes et boulets, non utilisés par les Gaulois. Fin de la discussion. Ce qui n’enlève rien à l’intérêt de Chanturgues en tant que site archéologique, bien entendu.
Bref, on ressort du musée Bargoin avec la nette impression qu’on est passé à côté de quelques trucs pendant nos études. Alors quoi ? On roupillait près du radiateur ?
Non ! Ce n’était pas de notre faute ! (enfin, pas tout). On nous a menti ! Baladés ! Embobinés !
La preuve avec l’exposition au musée d’Art Roger Quilliot.
Tout commence avec François Ier, en quête d’un ancêtre prestigieux pour mieux se faire mousser et rassembler le peuple autour de valeurs communes. Début du grand n’importe quoi. Puis arrive le XIXe, ses représentations romantiques, ses moustaches et son Vercingétorix vainqueur (puis vaincu, astuce 2 en 1), qui va déposer les armes aux pieds de César, à cheval et … armé jusqu’aux dents.
On peut même voir au MARQ une sculpture de Vercingétorix main dans la main avec Jeanne d’Arc, pour vous dire jusqu’où ça a pu aller en termes de grand n’importe quoi. Il faut quand même noter que les fouilles demandées par Napoléon III ont grandement contribué à élargir les connaissances sur les Gaulois, même si des erreurs ont été commises avec notamment la découverte d’armements datant de l’époque du Bronze et attribués à tort aux Gaulois. Les livres d’histoire ont commencé à véhiculer toute une iconographie sur les Gaulois et Vercingétorix. La reddition d’un peuple barbare et l’acceptation de la civilisation… la ficelle peut nous paraître énorme aujourd’hui et pourtant… légitimer un pouvoir en instrumentalisant l’histoire semble si facile ! Cette image du Gaulois fondateur de la nation française… on va la retrouver un peu partout par la suite. Publicités pour les pneus, le cacao et bien sûr marque de cigarettes… le Gaulois est partout !
Et si Astérix a malheureusement contribué à entretenir des tonnes d’idées farfelues sur les Gaulois, il n’a jamais été dans les intentions des auteurs d’en faire une BD historique. Quelques planches sont exposées, avec notamment le passage où nos deux compères visitent la chaîne des Puys. Je ne suis même pas sûre d’avoir lu un seul Astérix en entier de toute ma vie. Il va peut-être falloir que je remédie à cette lacune. Surtout maintenant que je suis parfaitement au point sur les Gaulois, les vrais.
Notez que l’espace enfants du MARQ est superbement aménagé, et que j’ai éclaté de rire plusieurs fois devant les « bulles » rajoutées par les gamins sur les photos des œuvres du musée.

L’intérêt national de cette exposition est parfaitement justifié. Les failles dans les connaissances d’un peuple ont permis son instrumentalisation à des fins politiques et de propagande. Aujourd’hui encore, en 2014, nous véhiculons des idées fausses et un système de valeurs élaboré de toutes pièces, c’est dire la puissance de cette instrumentalisation et sa reproduction naturelle dans le temps. Cessons de légitimer cette vision romancée du peuple gaulois et tenons-nous en aux faits et aux découvertes archéologiques. Pour ce qui est de l’intérêt « régional » de l’exposition, il est exceptionnel. Les sites de Corent, de Gergovie ou de Gondole où une sépulture mystérieuse de cavaliers a été mise à jour il y a quelques années, constituent un patrimoine inestimable. Quant à Vercingétorix… il trône toujours sur la place de Jaude mais je le regarde d’un œil neuf. Bardé de tout un tas d’anachronismes du XIXe siècle, il m’impressionne moins, désormais. Bartholdi, son créateur (également créateur de la statue de la Liberté, what else ?), ne l’aurait certainement pas imaginé brandissant un drapeau d’équipe de rugby. La force des symboles. La ténacité des légendes. François 1er, Napoléon III, Pétain l’avaient bien compris. Ça donne à réfléchir, non ?
Expositions jusqu’au 23 novembre 2014.
Tarif : visite libre au tarif habituel des musées. Visite guidée moyennant supplément.
(+) J’ai particulièrement apprécié les écouteurs prêtés au MARQ : en cas de groupe important (ce qui était le cas), ils permettent de ne pas perdre une miette des commentaires (excellents) de la guide tout en arpentant la pièce librement. Top !
(++) A Bargoin, profitez-en pour visiter la magnifique exposition sur les tapis marocains, en place jusqu’au 24 août !
(+++) J’adore les affiches de l’expo !
*Bonjour, ce mot n’existe pas mais je l’aime bien quand même. Au revoir.
Ouahhh… J’ai lu tous les Asterix (oui, cela vaut la peine de mettre ta culture prolétarienne à jour! ;-) ) sans pour autant m’être laissé trop corrompre… J’en connais un bout sur l’histoire gauloise, mais le casque en or et le vin italien… c’est un vrai suplice d’avoir cela à l’écran de mon ordi et de ne pouvoir me déplacer!
Décidément, ton coin de pays regorge d’attraits et (comme toujours) ton habileté à les mettre en valeur ne les rend que plus désirables encore!
:-)
(Un jour, je retournerai en Auvergne et la regarderai au travers de tes mots!)
@sdf de luxe : depuis le temps que tu me dis que tu vas traverser l’Atlantique pour venir en Auvergne… j’attends moi ! ;)