Abraham et fils

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Voilà longtemps que j’aime les romans de Martin Winckler, nom d’artiste d’un médecin aux idées humanistes, grand défenseur des droits des femmes, grand défenseur des droits tout court, à la plume aussi sensible qu’engagée. Pour ceux qui n’ont jamais rien lu de lui, je ne saurai trop vous encourager à commencer par La maladie de Sachs, portrait émouvant, parfois drôle, toujours juste, d’un médecin de province. Et vous poursuivrez par l’adaptation cinématographique du même nom, emmenée par un Albert Dupontel extraordinaire, peut-être la meilleure adaptation ciné d’un roman (en général je trouve les adaptations mauvaises). Et si vous vous sentez d’attaque et pas trop déprimé, En souvenir d’André est un magnifique roman sur la fin de vie (relire ma critique ici).

Bref. Voici donc le dernier roman de Martin Winckler, Abraham et fils.

Franz est un petit garçon de 10 ans qui a eu un « accident » et ne se souvient de rien, pas même de son père, Abraham, médecin de son état. Peu importe, il fait une confiance absolue à ce grand bonhomme bourru qui l’emmène un beau jour vivre à Tilliers. La nouvelle maison et sa balançoire, le cabinet et les patients de papa, l’école, ses copains et ses sales gosses, les livres, les illustrés, la lecture comme une soif inextinguible, et l’absence d’une mère sur laquelle plane un mystère. Des mystères il y en aura d’autres. Nous sommes en 1963 et la Seconde guerre mondiale est encore vive dans les esprits. Cette grande maison a quelques comptes à régler avec le passé et les Farkas père et fils vont être entraînés dans un tourbillon où le bien et le mal s’entrechoquent. Et “l’histoire avec sa grande hache” ne va pas lâcher Franz comme ça, elle s’invite jusque dans sa propre vie, avec cette fois l’Algérie et ses secrets de famille qu’Abraham va bien devoir révéler à un petit garçon trop intelligent et trop curieux.

Ce qui surprend dans ce roman, c’est la différence entre l’ambiance provinciale de ce début des années 1960, quasi idyllique, voire un peu cucul, pour le docteur Frakas, son fils, sa jolie assistante, et la fameuse histoire avec une grande hache, violente, impitoyable, qui détruit des familles, enflamme les esprits et construit les destinées de chacun. Les petites histoires naissent de la grande et les marges de manœuvres sont plus que limitées, difficile d’échapper aux événements, y compris et même surtout  pour un petit garçon sage. Mais ce que l’on retiendra c’est que la bienveillance, l’opiniâtreté, la modestie sont des armes puissantes pour qui veut bien prendre la peine de s’en servir.

J’ai lu ici et là que cette histoire, si elle n’est pas exactement celle de Martin Winckler, s’en inspire fortement. L’Algérie, la figure du père, la petite ville de province… Et puis bien sûr, la médecine en fil rouge, et les passions dévorantes de l’auteur pour les séries télévisées et les bandes dessinées. Franz ou Martin ?

Les aventures des Farkas père et fils auront une suite, et je suis impatiente de la lire.

“La nuit, il y a les murmures, les soupirs, le froissement des draps dans lesquels on se tourne ou s’agite, qu’on tire à soi parce qu’on a froid, qu’on repousse quand on se lève pour aller aux toilettes ou boire un verre d’eau et puis le déclic de l’interrupteur, le frottement des pantoufles sur le tapis de l’escalier, les vibrations de la rampe, le grincement de la porte de la cuisine, le bruit de ventouse du frigo qu’on ouvre et qu’on referme.”

“Un poste. Des radios. J’ai souvent entendu mon père dire à Claire qu’il avait envoyé un patient “à la radio” et qu’il attendait qu’il l’appelle pour lui donner le résultat. Et j’ai imaginé une salle dans laquelle les patients s’asseyent près d’un grand poste de radio, qu’un médecin leur passe l’antenne partout sur le corps et regarde sur le cadran ce qui se trame dedans et puis leur tend un micro pour qu’ils appellent mon père.”

“C’est d’autant plus incompréhensible que les habitants de Tilliers se sont comportés comme ceux du Chambon-sur-Lignon, en Ardèche” NON  ! Désolée Martin Winckler mais Le Chambon-sur-Lignon est en Haute-Loire ;)

2 Comments

  1. hum… ton descriptif donne envie d’aborder cet auteur. Plutôt orienté vers les polars d’ici, du nord et d’ailleurs, c’est une idée que je garde en tête. Merci pour cette découverte.

    1. @Olivier : dans ce roman il y a un petit peu de suspense avec ce mystère datant de plus de 20 ans… pas de quoi en faire un polar mais ça m’a bien tenue en haleine !

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