La saga des Olivier par Robert Sabatier

sabatier

Je m’étais promis de le faire et c’est fait… relire les 5 volumes qui constituent l’histoire d’Olivier Chateauneuf, écrits par Robert Sabatier et largement autobiographiques. J’avais lu ces romans il y a bien longtemps, alors que j’étais enfant et j’en gardais un souvenir ému. Oh, pas du contenu, car ma mémoire étant ce qu’elle est, catastrophique, je ne me souvenais que des sensations, que du plaisir de lire, et notamment d’un matin de printemps ou d’été, assise sur la moquette de ma chambre en plein soleil. J’appréhendais cette deuxième lecture car bien sûr, je risquais d’être déçue, les attentes à 10 ans n’étant pas les mêmes qu’à 38. Ce fut tout le contraire. J’ai pris un plaisir fou à relire l’histoire d’Olivier et je me demande d’ailleurs ce que le moi de mes 10 ans a bien pu piger à tout cet argot parigot et tout ce patois altiligérien ! Sûrement pas grand-chose parce que même là, j’étais parfois perdue, mais les sons, le style, la musique de l’écriture de Sabatier font des miracles.

Ce dont je ne me souvenais pas, c’est que “David et Olivier”, officiellement le premier opus, a en fait été écrit après la trilogie “Les allumettes suédoises”, “Trois sucettes à la menthe” et “Les noisettes sauvages”, et même après le cinquième, “Les fillettes chantantes”. J’apprends qu’il existe en plus un “Olivier et ses amis” et un “Olivier 1940”,  que je n’ai pas lus (avec un doute sur le premier, la couverture me disant quelque chose). La transition entre “David et Olivier” et “Les allumettes suédoises” est du coup un peu difficile. Le premier est très léger, contant l’enfance d’Olivier dans un Montmartre-village des années 1930 peuplé de personnalités truculentes et généreuses, de camarades de jeu, d’une mère parfaite, une vie de Titi parisien un poil idéalisée, fantasmée, où les méchants ne le sont jamais tout à fait et cachent un cœur en mousse. “Les allumettes suédoises” attaquent avec beaucoup plus de mélancolie, un destin à la Dickens qui va heureusement aller en s’améliorant, jusqu’à la fin des “Fillettes chantantes” et le début de la Seconde Guerre Mondiale. Et bien sûr… plus aucune allusion à ce pauvre David durant tout le reste de l’histoire, Olivier oubliant même ce que c’est que d’être Juif et de manger casher. Bon, on pardonnera à Sabatier, il ne pouvait décemment pas réécrire tout le reste pour intégrer la présence de David. Du coup, si j’ai un conseil à donner c’est de se garder “David et Olivier” pour la fin, tant il est différent et déconnecté du reste de l’histoire.

Mon volume préféré est sans aucun doute “Les noisettes sauvages”. Il se passe exclusivement à Saugues en Haute-Loire et le récit de Sabatier est un témoignage précieux. L’histoire d’Olivier c’est la sienne, romancée bien sûr, mais on peut légitimement supposer qu’il a vécu bon nombre de choses évoquées dans cette saga. Comme pour Montmartre, Sabatier évoque une vie paysanne largement idéalisée, également peuplée de personnages courageux et bons, généreux et honnêtes, rudes mais à la fidélité sans faille. Le pépé tendre et cultivé, la mémé sauvage et protectrice comme une lionne, le tonton Victor vaillant et complice… et tous ces habitants du village, un peu tous de la famille, et toute cette nature merveilleuse, terrain de jeu et d’apprentissage comme nul autre… J’avoue avoir été très émue par toutes ces descriptions, ce récit d’une vie paysanne qui, tandis qu’à notre époque la peur et le repli sont de mise, s’appuyait sur des valeurs folles de partage et d’entraide, de générosité dans la pauvreté, de respect des animaux et de la nature malgré les épreuves. Ce roman m’a donné une incroyable envie d’aller à Saugues. Je vais le reprendre et éplucher toutes les descriptions de lieux, afin d’en retrouver la trace. J’en attends peut-être trop mais il faut que je le fasse. Qu’est-ce que je risque ? Une belle balade ? Vendu ! 

Mais chacun de ces volumes possède son charme propre. J’ai beaucoup aimé “Les fillettes chantantes”,  imprégnées d’une joie de vivre, d’une insouciance extraordinaires alors que la guerre mijotait déjà depuis des mois. Olivier et ses 17 ans, en pleine fleur de l’âge, découvrant la liberté, l’amour et les amis et refusant la fatalité de la guerre.

Et puis il y la grande histoire derrière la petite. Robert Sabatier semble prendre un plaisir fou à nommer les marques de produits, les adresses tendances, les films du moment, les acteurs et actrices en vue, les modèles de voitures, les illustrés, la TSF, les actualités au cinéma, les écrivains et romans à la mode. C’est tout un monde oublié qui nous saute au visage, un monde où la consommation de masse était à ses balbutiements, où les voitures étaient rares, où les courses cyclistes et les combats de boxe excitaient les gamins comme jamais, où les gosses buvaient du vin, où les bourgeois avaient des bonnes à demeure (wait, what ? Ça existe toujours ? Ah…).

Et puis le style, l’excellence de l’écriture, les mots choisis, les expressions fleuries, le patois, autant de richesses ornant un récit pourtant simple à lire, plaisant, fluide. Je ne sais ce qui m’a tant plu il y a bien longtemps, assise sur la moquette de ma chambre d’enfant, mais tout ça a très certainement contribué à cette exigence que j’attends aujourd’hui d’un roman, le travail des mots, la créativité, la musique. C’est trop tard, il faudrait que je me refasse l’intégrale des 5 volumes mais j’aurais aimé me constituer un petit lexique d’expressions, tant certaines m’ont paru indispensables à toute conversation. “La nuit était chaude comme une soupe”, “Va donc, Coco l’haricot, tu pèles de jalousie”, “il est curieux comme un trou de serrure”, “c’est gigot pomme à l’huile !”, “ il a des chauves-souris dans le beffroi?”, et tant encore…

Rendez visite à Olivier, si vous ne l’avez déjà fait, et saluez-le de ma part.

“Au matin, après de brefs moments de sommeil, le corps ankylosé, le cheveu triste, le visage gras, on voyait apparaître les beaux paysages d’Auvergne, et les voyageurs, derrière les vitres piquetées de grains de charbon, s’exclamaient devant des noms de gares : Saint-Flour, Loubaresse, Ruines…, attendaient le passage sur le viaduc de Garabit, semblaient réapprendre à vivre et à sourire, écartaient les cols de chemises sur les vestons du dimanche, prenaient l’attitude de gens qui, bien que voyageant en troisième classe, étaient à leur aise.”

(Les allumettes suédoises)

“Plus tard il [le pépé] devait dire : “Bah ! ce sont les gens des villes qui nous ont appris que nous étions malheureux. Avant qui le savait ?””

(Les noisettes sauvages)

“Et c’est très amusant de garder les vaches. Quand j’étais petite, je partais avec ma mère en emportant un goûter.

– Vous, ma tante !

– J’ai fait bien des choses, tu sais. Et garder les vaches est une condition essentielle pour la réussite dans l’existence.”

(Trois sucettes à la menthe)

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