En 2013, Xavier Legrand a obtenu plusieurs prix au festival du court-métrage de Clermont avec son film “Avant que de tout perdre”, suivis par un César en 2014. C’était en effet un film au sujet fort, emmené par une tension dramatique incroyable. Un premier court-métrage qui lui a donné de l’élan pour l’adapter au format long, avec “Jusqu’à la garde”.
Miriam et Antoine, chacun flanqué de son avocate, rencontrent la juge qui va devoir statuer sur le droit de garde des enfants du couple, qui divorce. Pour Joséphine, la grande fille, c’est tout vu puisqu’elle va avoir 18 ans. Pour Julien, le garçon, c’est plus compliqué car il a expliqué qu’il ne voulait plus voir son père. Pourtant… face aux parents qui se rendent coup pour coup devant elle, la juge va finalement décider d’accorder un droit de garde à Antoine, malgré les alertes lancées sur sa violence et ses faits de harcèlement. A partir de là…celle qui avait fui avec ses enfants va devoir composer avec ces nouvelles dispositions tout en gardant ses distances pour éviter le pire. Garder ses distances c’est dissimuler sa nouvelle adresse, changer de numéro de téléphone, éviter de le croiser et serrer les dents quand Julien monte dans la voiture de son père avec ses affaires pour le week-end. Mais Antoine ne supporte pas de perdre ses enfants, sa femme, et va tout faire pour s’imposer dans leur vie à nouveau.
Pour ce long métrage, Xavier Legrand a repris quasiment le même casting que pour son court-métrage : Léa Drucker, Denis Ménochet, Mathilde Auneveux, et a étiré sur une heure et demie cette tension dramatique infernale, oppressante, qu’il avait expérimentée dans son premier film. Il joue avec nos nerfs, en installant de longs plans séquences au cours desquels notre cerveau a le temps de se faire mille films, de guetter mille bruits, d’attendre ce qui va, peut-être, rien n’est sûr, se passer. Il nous colle au plus près de celui dont tout le monde a peur, Antoine, avec sa gueule de chien battu, sa stature de colosse, ses mains en forme de battoirs, ses sautes d’humeur. Au fond de nous on sait, on voit, on sent, que tout ça va mal finir. Et pourtant on constate que tout le monde cherche à éviter le pire… en lui laissant le champ libre. Le loup dans la bergerie. Une sorte de schizophrénie affective et sociale qui fait qu’on fuit, mais qu’on veut bien faire des concessions, parce qu’il y la loi de la République, parce qu’après tout on n’est pas des monstres, parce qu’il est malheureux et qu’on peut bien lui donner un peu. Et on se rend compte de la difficulté de gérer ces situations, innombrables, de jauger la dangerosité d’un homme, d’évaluer la sincérité d’une femme, de croire la parole d’un enfant. Combien sont-elles, ces femmes qui ont porté plainte contre le compagnon, alerté les services sociaux, alerté leurs proches, et qui ont finalement péri sous les coups, ou au bout d’un fusil ? Des centaines. Des milliers. On sent que pour ce film, Xavier Legrand s’est documenté sérieusement car toutes les situations sont complexes à analyser pour le spectateur : on doute, on pressent, on se laisse amadouer, on s’interroge sur la froide indifférence de Miriam. Dialogues, jeu des comédiens… pas de gros sabots ici, pas de parti pris manichéen, mais un reflet quasi documentaire de ce que peut être la réalité d’un couple comme celui de Miriam et Antoine.
Léa Drucker tétanisée et résignée, Denis Ménochet à fleur de peau permanente… ces deux-là portent le film à la seule force, presque, de leurs yeux. Je pense qu’il faut un peu de courage pour accepter un rôle comme celui d’Antoine. L’émotion est si forte qu’on risque de ne jamais oublier son visage dans ce film, même s’il a fait plein d’autres choses avant. Bien sûr pour les besoins d’un film comme celui-ci, il fallait une armoire, un homme puissant, bestial, intimidant, et ça fonctionne très (trop) bien. Mais on n’oubliera pas que l’horreur des violences conjugales peut parfois être incarnée par un type comme Jonathan Daval, qui a tué sa femme, a joué les veufs éplorés pendant 3 mois, avant de se faire coincer et de plaider l’ “accident”. Les violences conjugales ont mille visages.
Mention spéciale au jeune comédien Thomas Gioria qui joue Julien, le fils du couple. Ce rôle a dû être éprouvant pour lui aussi et notamment dans la scène finale, à la limite du soutenable émotionnellement. J’ai failli repartir avec les accoudoirs. Je regrette amèrement de ne pas avoir assisté à l’avant-première projetée pendant le festival du court-métrage cette année, en compagnie du réalisateur et des comédiens.
C’est un film à voir, un film de société indispensable, traité comme un thriller avec une grande virtuosité par Xavier Legrand et ses comédiens. Notez que la bande-annonce est particulièrement réussie également.
Très bonne critique ! 🙂 Je rejoins parfaitement l’enthousiasme autour de ce film, il est très bien réalisé, avec un véritable travail au niveau de la construction d’une ambiance particulière, qui met le spectateur aux premières loges pour lui faire réellement ressentir la tension et la violence qui émane du film. Une belle réussite ! 🙂
@A la rencontre du septième art : merci beaucoup ! Ravie de voir que ce film plait au plus grand nombre, car c’est un sujet difficile. Contente aussi pour le réalisateur, qui a trouvé à Clermont son premier public avec son court-métrage :)