Oenanthe xanthoprymna
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LâĂ©crivain Jean Rolin a obtenu le prix Vialatte 2018 pour ce Traquet kurde. Je nâavais jamais rien lu de lui jusquâĂ prĂ©sent et jâĂ©tais curieuse de voir ce qui pouvait rappeler le style ou lâesprit de Vialatte chez un auteur contemporain. Le prix Vialatte existe depuis 1991 et est dotĂ© dâune rĂ©compense de 6 105 euros, soit  « la somme de la hauteur du Puy-de-DĂŽme et de la longueur du Fleuve Congo. »
Ce qui mâa convaincue de lire ce roman, câest son postulat de dĂ©part, Ă savoir lâobservation, bien rĂ©elle, dâun traquet kurde au sommet du puy de DĂŽme en 2015. Le traquet kurde est un petit oiseau qui, comme son nom lâindique, est originaire du Kurdistan est nâest pas censĂ© se retrouver au sommet dâun volcan dâAuvergne. Câest ce qui va pousser Jean Rolin Ă sâintĂ©resser Ă cet oiseau, et lâamener Ă remonter jusquâau dĂ©but du XXe siĂšcle oĂč les explorateurs, des scientifiques Ă la moralitĂ© un peu douteuse parfois, parcouraient le monde afin dâinventorier les espĂšces animales (en les zigouillant Ă coups de fusil, on faisait pas dans la dentelle Ă lâĂ©poque). Jean Rolin nous plonge ainsi dans lâhistoire de lâornithologie europĂ©enne, faite de personnages hauts en couleurs comme il nâen existe plus, de rivalitĂ©s Ă la Indiana Jones et de considĂ©rations gĂ©opolitiques qui lâamĂšnent finalement Ă la situation dâaujourdâhui, lorsquâil se rend sur place pour tenter dâobserver par lui-mĂȘme ce petit traquet kurde. Inutile de vous rappeler que ce secteur gĂ©ographique nâest pas le plus touristique au monde, et quâil convient de sâentourer convenablement avant de sâaventurer dans les montagnes truffĂ©es de militaires et de rebelles en tous genres.
Jâai particuliĂšrement apprĂ©ciĂ© la premiĂšre partie du roman, celle qui relate les exploits de St. John Philby, espion, explorateur et ornithologue, et de Sir Richard Meinertzhagen, de ses douteux procĂ©dĂ©s scientifiques et de la mort de sa femme qui a âmalencontreusement reçu  une balle dans la tĂȘteâ. Au point que jâai dĂ» mâassurer que eux et les autres protagonistes de lâĂ©poque avaient bien existĂ© tant tout cela ressemble Ă un scĂ©nario de film dâaventures. La derniĂšre partie du roman nous ramĂšne Ă une rĂ©alitĂ© peu rĂ©jouissante et disons-le sans spoiler quoi que ce soit, tout ça se termine en queue de poisson (ou de traquet kurde).
Dâailleurs, le style dâĂ©criture est en accord avec cette diffĂ©rence temporelle. Jean Rolin semble prendre un plaisir malicieux Ă narrer les exploits des explorateurs britanniques, sâamuse de leur prĂ©tention autant que de leurs innombrables petits dĂ©fauts et⊠oui jâen conviens, il y a parfois du Vialatte dans ce regard moqueur, dans ces tournures de phrases Ă©lĂ©gantes mais qui Ă©trillent sans en avoir lâair.
Câest un roman insolite qui rĂ©jouira les amateurs dâoiseaux et de rĂ©cits rocambolesques, mais qui porte en lui cette poĂ©sie insaisissable, celle de ce traquet kurde au sommet du puy de DĂŽme et dont le mystĂšre nâa pas Ă©tĂ© rĂ©solu.
â… bien peu dâentre nous, hĂ©las, auront un jour lâoccasion de voir des poussins de pĂ©licans, tels de petits ours, se laisser rouler de leurs nids puants jusquâĂ la mer.â
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