L’opéra Madame Butterfly a été présenté pour la première fois à Milan en 1904 par Giacomo Puccini. Il a depuis été joué des centaines de fois de par le monde, c’est un immense classique. Pierre Thirion-Vallet, directeur du Centre lyrique Clermont Auvergne, a choisi de le monter cette année, pour le présenter d’abord à Clermont-Ferrand puis dans d’autres villes de France pour une tournée. Peut-être vous souvenez-vous que l’an passé déjà, j’avais été invitée à suivre les coulisses d’un opéra, L’enlèvement au sérail, de Mozart. La production était partagée entre plusieurs opéras de France. Pour Madame Butterfly, tout s’est joué à Clermont-Ferrand, de la mise en scène jusqu’aux décors, en passant par la confection des costumes. Je n’imaginais pas que décors et costumes puissent être entièrement créés ici et grâce à Fanny du Centre lyrique, j’ai pu pousser quelques portes et découvrir deux univers fascinants portés par des personnalités passionnantes autant que talentueuses. Suivez-moi !
L’histoire
L’histoire de Madame Butterfly se passe à Nagasaki. C’est une jeune femme de 15 ans qui tombe amoureuse d’un officier américain et renonce à ses traditions et sa religion pour lui. Quant à lui, Pinkerton, ses intentions sont un peu plus légères. Il retourne aux Etats-Unis, où il se marie, avant de revenir quelques années plus tard au Japon, pour retrouver une Madame Butterfly éplorée et avec un enfant sur les bras. Cette dernière, découvrant que Pinkerton s’est marié, va prendre une décision irréparable. Si Pierre Thirion-Vallet n’a pu se départir de cette histoire trop bien cadrée pour imaginer sa mise en scène, il a cependant ajouté sa touche personnelle en faisant de l’enfant de Madame Butterfly un pantin, un fils sorti de son imagination et pour ça il est allé chercher loin dans ses souvenirs d’ancien médecin.
Mais difficile, voire impossible, de changer le contexte de cette histoire donc la mise en scène s’est évidemment appuyée sur la culture japonaise. Costumes et décors s’attachent à reproduire une ambiance clairement identifiable mais avec une liberté créative réjouissante.
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Les costumes
Direction… un immeuble résidentiel quelque part dans Clermont-Ferrand. Dans un appartement s’affaire la pétulante Véronique Henriot, costumière pour le Centre lyrique. Elle a procédé au départ à une recherche graphique et a eu un coup de coeur pour une estampe japonaise d’Ito Jakuchu déterminant ainsi la gamme de couleurs de sa collection de kimonos. Cette estampe représente des coqs dans des tons de rouge, de noir, de blanc donc les tenues seront dans ces coloris et si possible avec des motifs animaliers : zébrures, taches… Il a donc fallu trouver les tissus correspondants et ce n’est pas une mince affaire ! Lorsqu’avec Pierre Thirion-Vallet ils se rendent bras dessus bras dessous à Paris pour faire les magasins, ils ne trouvent pas forcément ce qu’ils veulent car les modes ne répondent pas exactement aux motifs, matières, couleurs des croquis imaginés par Véronique. Il faut parfois renoncer, il y a parfois des bonnes surprises, des coups de cœur et parfois ça se termine en rideau de douche (et alors ? bien porté… tout passe !).
Véronique commence par travailler l’harmonie des couleurs en imaginant l’ensemble des costumes (1 par personnage et par acte), puis réalise un patron sur papier. Pour Madame Butterfly, un seul patron a servi à réaliser l’ensemble des kimonos et avec ce patron elle a réalisé une “toile en blanc”, c’est-à-dire un kimono en tissu quelconque pour vérifier la coupe et le tombé avant déploiement avec les tissus définitifs.
Épaulée par une équipe de quatre personnes, Véronique Henriot se lance, quelques mois avant la première représentation de l’opéra, dans la confection des costumes. Du moins, pour ceux qui font l’objet d’une création spécifique car certains sont astucieusement achetés dans des surplus militaires ou dans des magasins spécialisés dans les costumes de cinéma, comme c’est le cas pour la tenue militaire de Pinkerton par exemple. C’est un gain de temps et de budget conséquent car pour un seul kimono accompagné de son obi (le nœud), il faut compter une semaine entière de travail et douze mètres de tissu (doublure comprise). Alors quand il faut habiller quinze personnes… toute économie est la bienvenue. Véronique est la reine de la récup’ et du bricolage, elle n’hésite pas à décaper des chaussures dont la forme lui plaît, afin de les teindre dans une autre couleur, ni à peindre et customiser des ombrelles un peu trop ternes. Ses astuces pour gagner du temps et de l’argent servent aussi le confort des chanteurs, en particulier avec son idée de remplacer les sous-couches traditionnelles des kimonos par des faux-cols, qui rendront le costume plus facile à enfiler, moins chaud, et lui garantiront une meilleure tenue sur scène. Notez que tout ceci, doublures, faux cols et autres accessoires customisés sont d’une perfection absolue : pas question de coudre vite fait mal fait en se disant que de loin, du public, ça ne se verra pas, non, tout est soigné et certaines parties sont astucieusement amovibles pour être nettoyées plus facilement entre deux spectacles.
Quelques semaines avant la première représentation, Véronique embarque ses costumes pour un voyage à Paris, afin de procéder aux premiers essayages et aux premières retouches sur les chanteurs. Les derniers ajustements se feront à Clermont, au dernier moment.
Véronique Henriot est un personnage extraordinaire. Exaltée, exubérante, je n’imaginais pas en la rencontrant qu’elle ait pu se découvrir la vocation de costumière à 43 ans, sur un coup de tête après avoir vu un opéra à Vichy. Après des semaines à harceler le Centre lyrique, elle a fini par se faire embaucher et en est désormais un pilier indispensable, partageant avec Pierre Thirion-Vallet une même vision et une grande complicité.
Les décors
Même passion du métier du côté de Frank Aracil, le décorateur et de d’Alain Picheret de l’Atelier Artifice à Montferrand. Cet atelier est unique à Clermont et Alain est en quelque sorte un dinosaure du métier car seul et polyvalent dans son hangar. Aujourd’hui, pour un décor en général on fait appel à plusieurs personnes, plusieurs corps de métiers, multipliant du même coup les risques d’erreurs et d’incompréhension, les retards. Pas de ça entre le Centre lyrique et Artifice, qui se comprennent en quelques mots depuis des années. Pierre Thirion-Vallet, qui fait la mise en scène, a donné carte blanche à Frank, qui lui a proposé plusieurs projets pour Madame Butterfly. Le projet choisi a ensuite été présenté à Alain Picheret, sous la forme de plans précis avec cotes mais à écouter Frank et Alain, ces plans sont une coquetterie dont ils pourraient presque se passer tant ils sont sur la même longueur d’onde. Depuis le temps, Alain connaît les besoins, les dimensions et anticipe jusqu’aux teintes de peinture voulues par Frank. Pour Madame Butterfly, Frank a opté pour un décor qui évolue et se désagrège en même temps que l’intrigue de l’opéra. De hautes poutres de bois (en contreplaqué peint, l’illusion de bois brut précieux est parfaite) constituent la maison de Madame Butterfly, un peu comme une prison qui n’aurait pas oublié d’être élégante. L’acte 1 est bien rangé, l’acte 2 est un peu en vrac et pour finir l’acte 3 est en ruine, comme Madame Butterfly.
L’ensemble des décors est créé dans ce hangar de Montferrand, devant lequel j’étais passée plusieurs fois sans savoir ce qui se cachait derrière. Il doit, le décor, s’adapter, dans ses dimensions, à l’ensemble des scènes sur lesquelles l’opéra sera présenté. Ni trop petit, ni trop grand, 4 mètres maximum, ignifugé, pouvant être démonté en 4h par 2 personnes et chargé dans un petit camion. Rien que ça. Alain travaille donc seul, avec de temps en temps un.e stagiaire, et il sait tout faire : les menuiseries, les peintures, des reproductions graphiques, des maquettes… Artiste plus qu’artisan, il écoute France Musique dans son atelier. Il collabore en local avec des structures comme le musée Bargoin ou Vulcania, mais aussi avec des particuliers sur des projets de rénovation de maisons anciennes.
Les répétitions
J’ai eu la chance d’assister à une répétition à l’opéra, sans l’orchestre (avec piano) et j’ai pu voir costumes et décors enfin en situation, habités. Des mois de travail qui prennent enfin vie, qui habillent, dans tous les sens du terme, l’histoire de Madame Butterfly pour constituer un grand tout harmonieux. Et c’est magnifique. L’harmonie des costumes est parfaite, le décor aussi élégant qu’imaginé et même si les lumières n’étaient pas encore tout à fait calées ce jour-là, j’ai compris qu’elles allaient magnifier l’ensemble à la perfection.
Un opéra, lorsqu’on le voit depuis le premier balcon d’un théâtre à l’italienne, se pare de tous les superlatifs. Ça brille, ça scintille, les notes parfaitement placées virevoltent dans l’air, tout paraît plus élégant, plus grand, plus tout. Désormais je penserai aux aiguilles plantées dans un mannequin dans un petit appartement clermontois, au rideau de douche à quelques euros, aux mains noueuses qui ont peint du contreplaqué pendant des heures dans un hangar en plein hiver, aux rubans de Noël recyclés, et tout me paraîtra… encore plus élégant, plus grand, plus tout, car imprégné de la passion, du savoir-faire, du talent de toute une joyeuse équipe qui a su sublimer la moindre couture, le moindre morceau de bois, le moindre trait d’eye-liner pour que tout soit à la hauteur de l’oeuvre présentée.
Madame Butterfly
Les 17, 19 & 20 janvier à l’opéra-théâtre de Clermont-Ferrand
puis en tournée en France
www.centre-lyrique.com/saisonlyrique/madame-butterfly
Coproduction : Centre lyrique Clermont-Auvergne / Opéra Nomade
Direction musicale : Amaury de Closel
Mise en scène : Pierre Thirion-Vallet
Costumes : Véronique Henriot
Décors : Frank Aracil / Atelier Artifice
Lumières : Véronique Marsy
Madame Butterfly : Noriko Urata
Pinkerton : Antonel Boldan
Suzuki : Magali Paliès
Kate Pinkerton : Pauline Feracci
Sharpless : Jean-Marc Salzmann