Il ne suffit pas à Vichy d’être une ville outrageusement charmante et particulièrement agréable aux beaux jours, il faut, en plus, qu’elle propose un festival de photographie chaque été toujours plus réjouissant que les années précédentes !
Revoilà donc Portrait(s) dans sa version 2019. Lors d’une après-midi marathon dédiée aux expos de l’été (je reviendrai dans un autre article sur l’exceptionnelle expo “Il était une fois la reine des villes d’eaux”), j’ai fait un tour au centre culturel, sur le parvis de l’église Saint-Louis et bien entendu sur l’esplanade du lac d’Allier. Le portrait peut sembler être un thème convenu, sans surprise, et pourtant, chaque année, des photographes nous prouvent que c’est un sujet infini, qui se prête à toutes les interprétations, à une créativité étonnante, pour notre plus grand émerveillement. Petit tour d’horizon des belles photos, des belles personnes, vues en cette belle journée d’été.
Centre culturel Valéry-Larbaud
20 rue du Maréchal Foch – ouvert du mardi au dimanche de 14h à 18h – Entrée libre
Bastiaan Woudt – Mukono
Le photographe néerlandais nous livre des visages africains d’une intensité rare, où le grain de peau le dispute à l’intensité des regards. Que lire dans ces postures, ces demi-sourires, ces yeux fatigués, ces vêtements déchirés ? J’ai particulièrement aimé ces mains, fines, délicates, sur lesquelles ruisselle l’eau, précieuse, insaisissable.
Benni Valsson – A sort of homecoming
Changement de décor. De l’aridité africaine on passe à la rigueur nordique de l’Islande. Cette série, prise à la chambre photographique, est d’une sobriété quasi documentaire. Les personnages se succèdent, dans ce qui semble être un quotidien, posés ici ou là. Quelques éléments contextuels nous rappellent que la mise en scène et la composition sont la base de la photographie et, irrésistiblement, on se demande qui ils/elles sont.
http://carolelambert.com/photographers/benni-valsson
Michal Chelbin – How to dance the waltz
En Ukraine, le temps semble s’être arrêté quelque part entre le XIXe et le XXe siècle. Les pensionnats militaires sont peuplés de garçonnets prêts à défiler ou à aller au front, et de fillettes en tenues de bal ou de ménagères. La question du genre, de la répartition des rôles, du déterminisme social semble ici claire, nette, précise, effroyable.
Tish Murtha – Les enfants d’Elswick
La photographe, décédée en 2013, a posé sur les classes populaires anglaises des années 1980, les années Thatcher, un regard sans concession, d’une cruauté effarante. Des enfants sales, livrés à eux-mêmes, dans la rue. La face honteuse de ces années de rigueur économique dont les victimes semblent nous envoyer un avertissement depuis leur trottoir.
Turkina Faso – Sister Alice
La jeune photographe russe a choisi comme sujet sa petite soeur. La sélection de portraits proposée ici nous fait contempler pêle-mêle une petite fille facétieuse, une ado boudeuse et une jeune femme voluptueuse. Un condensé de vie à l’esthétique qui souffle le chaud et le froid.
Pieter Hugo – Des mots pour voir
Dans la petite salle à droite en entrant, des portraits jouant sur la confusion de la couleur de peau sont accompagnés d’un document sonore recueilli auprès d’enfants vichyssois. Leur vision de la couleur de peau entre en résonance avec ces portraits qui semblent nous dire que tout n’est qu’apparence.
Olivier Culmann – Selfies, égaux / Egos
Photographe, et commissaire invité pour cette édition, Olivier Culmann propose ici un travail documentaire dantesque sur le selfie. Le parcours scénographique commence avec quelques définitions puis on rentre dans le vif du sujet. Rassemblés sous un hashtag fédérateur, des selfies se succèdent : qui devant la Joconde, qui au sommet d’un building, qui avec du scotch sur le visage, qui avec les testicules au premier plan (je n’avais jamais entendu parler de ça, malgré ma veille quotidienne)… voilà pour les amateurs. Et puis on a aussi des projets individuels, comme cette femme qui s’est prise en photo avec ses harceleurs de rue, ou le photographe Romain Leblanc qui se met en scène dans des parodies de situations du quotidien. J’ai vraiment adoré cette salle, tellement actuelle, tellement le reflet de ce que nous sommes devenus à cause des réseaux sociaux : un tas de crétins égocentriques et imbus d’eux-mêmes. Et pourtant, cette accumulation de portraits, d’égoportraits, raconte quelque chose de la société mondialisée, du vivre ensemble, d’un outil qui pousse chaque jour à de nouvelles formes de communication, souvent créatives, parfois irrévérencieuses, donc indispensables.
http://tendancefloue.net/olivierculmann
Eglise Saint-Louis (et parvis de la gare)
En plein air
Ambroise Tézenas est l’artiste invité en résidence. Comme Vichy est candidate, en compagnie de 11 autres villes thermales européennes, au patrimoine de l’UNESCO, le photographe a mis en regard les monuments emblématiques de la ville et ses habitants. Je n’ai pas vu les oeuvres exposées à la gare.
https://www.ambroisetezenas.com
Esplanade du lac d’Allier
En plein air
Philippe Helsman est un photographe majeur des années 1940 à 60. Il nous laisse une galerie de portraits incroyable, inestimable (et 106 couvertures de Life). Loin des poncifs photographiques et des poses étudiées qui étaient de mise à cette grande époque d’Hollywood, il a fait de la “jumpology” sa spécialité. Il en ressort des portraits naturels, drôles, décalés, terriblement vivants. On retrouve le long de l’Allier plusieurs portraits de Marylin Monroe, éblouissants, un étonnant Aldous Huxley (Brave new world, roman majeur du XXe siècle) bondissant, un encore plus surprenant couple royal britannique déchaussé et en lévitation… Mais on trouve aussi des portraits plus classiques, dont certains de Dali dont il était très proche.
Portrait(s) est à voir jusqu’au 8 septembre 2019