J’ai lu un best-seller. De mon plein gré. D’abord intriguée par le sujet, j’ai été pleinement conquise par l’édition illustrée, que je me suis fait offrir. Peter Wohlleben est forestier, en Allemagne. Après des années à travailler selon les règles bien cadrées de la sylviculture, il a petit à petit pris conscience de la véritable nature de cette matière première qu’est le bois, à savoir un organisme vivant, qui vit en communauté avec des milliers d’autres végétaux, animaux, champignons, minéraux….
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Tout le long de cet ouvrage, Peter Wohlleben nous livre les secrets, donc, de cette vie en communauté et de l’incroyable pouvoir des arbres. Entraide, anticipation des risques, auto-médication, colocation, compétition, communication et même communication en réseau via un enchevêtrement de racines et de champignons… c’est une véritable société organisée qui est décrite ici. Et ça force le respect, vraiment. D’autant plus quand on apprend que certains spécimens d’arbres sont toujours debout et verts après plusieurs milliers d’années.
Il paraît que les arbres peuvent s’avertir mutuellement d’une attaque d’insectes, et mettre en place des stratégies d’autodéfense. Il paraît que les champignons peuvent décider de décimer tous les insectes souterrains pour stimuler la production d’azote quand celui-ci vient à manquer. Il paraît que certains arbres sécrètent des substances appréciées de certains oiseaux qui les débarrassent ainsi de leurs parasites. Bref, un écosystème extrêmement complexe où interviennent des milliers de contributeurs, plus ou moins bienveillants.
Je n’ai, même si je n’y connais rien, pas le moindre doute sur la complexité des forêts et sur leur fragilité dès lors qu’un paramètre se déglingue. Je n’ai pas de doutes non plus sur leur utilité et leur valeur inestimable en termes de biodiversité et d’équilibre écologique de notre planète. J’ai pris un immense plaisir à lire cet ouvrage, accessible, passionnant, et magnifiquement illustré (les photos sont vraiment… waouh et donnent envie d’aller embrasser des arbres dans la minute). Mais j’ai été un peu dérangée, je dois l’avouer, par l’anthropomorphisme quasi permanent utilisé par l’auteur (du moins dans sa traduction). Parents, enfants, douleur, sensibilité, amitié, langage, entraide, acquisition de connaissances… il y a, véritablement, de quoi perturber notre façon de considérer les végétaux, mis sur le même plan que les espèces animales. Et puis au final je me dis : pourquoi pas ? Notre perception du monde végétal et animal est conditionnée par le pouvoir affectif qu’ils opèrent sur nous. C’est connu, les associations de défense de la nature ont du mal à mobiliser les foules sur des espèces animales moches ou invisibles pour l’œil humain ; un arbre qui ne bouge pas… n’en parlons pas. Alors si ce livre peut bousculer les consciences en faisant vibrer la corde sensible du grand public, tant mieux. J’ai pourtant l’impression que toute ma vie (j’ai 40 ans) la déforestation a été au cœur des combats écologistes, car on sait l’importance de la forêt en termes d’équilibre, de régulation du climat et malgré ça, on n’a jamais autant tout défoncé (coucou l’huile de palme). Certains avanceront l’argument selon lequel dans notre pays les forêts regagnent du terrain grâce à une gestion “durable” des surfaces forestières. Certes. Mais le problème de ces forêts c’est qu’elles n’ont plus rien de naturel. Les forêts “anciennes” constituées d’arbres de plus de 200 ans, sont extrêmement rares désormais car un arbre est “bon pour la coupe” à 100 ans. Par ailleurs, certaines essences ont été massivement plantées à des endroits où elles n’avaient rien à y faire, notamment grâce à des subventions, et constituent de fait des écosystèmes fragiles car inadaptés. Exemple des épicéas en Auvergne, qu’on tente ici et là de déloger pour que les essences “naturelles” reprennent leur place. Et c’est une bonne chose. Et je rejoins Peter Wohlleben sur sa volonté de créer des espaces forestiers où l’homme n’aurait pas droit de cité, des forêts où les espèces végétales et animales pourraient se développer selon leurs règles bien à elles et pas les nôtres.
J’attire votre attention sur le fait que ce best-seller bienveillant fait l’objet de controverses dans le milieu scientifique. Je m’en doutais un peu à la lecture (notamment en raison de l’abus d’anthropomorphisme), je n’ai pas eu à chercher longtemps sur Google pour trouver quelques articles allant en ce sens. Je vous en mets deux, il doit y en avoir d’autres.
Sur ForestTopic
Le communiqué de l’académie de l’agriculture
Entre vérité scientifique, bon sens, lobbying industriel et démagogie, je vous invite à vous positionner là où vous êtes le plus confortable avec votre philosophie personnelle ;)
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Je profite de la lecture de ce livre pour vous parler du projet Sylvae, porté par le Conservatoire des Espaces naturels d’Auvergne. L’Auvergne est verte et boisée ? Vous avez l’impression de vous promener dans des forêts naturelles ancestrales ? Et bien sachez que moins de 10% de sa surface forestière est constituée de forêts anciennes. Le CEN a lancé une campagne de crowdfunding afin de faire l’acquisition de parcelles repérées dans le Puy-de-Dôme et le Cantal, je vous invite à donner quelques euros pour manifester votre soutien à cette opération salutaire. Moi je l’ai fait.
J’en profite aussi pour vous signaler si l’info vous a échappé, que la forêt de Tronçais au nord de l’Allier a reçu il y a quelques jours le prestigieux label de l’ONF “Forêt d’exception”. Ce label s’acquiert après des années de travail et c’est une juste récompense pour cette chênaie réputée comme étant la plus belle d’Europe.
🎵 Accompagnement musical à la rédaction de cet article : BO Into the Wild par Eddie Vedder
Justement, on en a parlé samedi à la journée de la biodiversité à Randan et, point de vue scientifique, j’ai bien compris qu’on ne me le conseillait pas. Mais… Et pourquoi pas, après tout ? Je vais me le noter. Mine de rien, je suis quand même bien curieuse.
As-tu vu qu’il y a un ciné-débat le 4 juillet aux ambiances ? Ayant beaucoup aimé le livre, le film me fait pas trop envie mais le débat peut être assez intéressant.
J’ai vu passer l’événement mais je ne serai pas là malheureusement !