Regarde les lumières mon amour

ernauxVoilà un moment que j’entendais parler d’Annie Ernaux en bien, j’ai décidé de faire l’acquisition de ce court livre pour me faire une idée. Je ne regrette pas mon choix et m’en vais de ce pas me plonger dans le reste de la bibliographie de cet auteure.

“Regarde les lumières mon amour” n’est pas forcément le titre que j’aurais choisi ; ça sent le choix d’éditeur, calibré pour de la tête de gondole (ça tombe bien) et à peu de choses près on dirait le titre d’un Musso. Heureusement que la brève quatrième de couv’ a su me séduire, elle. Les grandes surfaces, voilà ce dont il est question. Des lumières de grandes surfaces.

Annie Ernaux a tenu un journal pendant quelques mois entre 2012 et 2013, pour noter les réflexions et les observations faites dans les super et hypermarchés qu’elle fréquente régulièrement, dont l’Auchan de Cergy, situé dans un immense centre commercial, nommé Les Trois-Fontaines. Mais que peut-on bien trouver d’inspirant dans un hypermarché ?

Un portrait sans fard de l’humanité qui vit, dort, mange, boit, joue, festoie jour après jour. Annie Ernaux a étudié les déplacements des clients, leur physionomie, leur attitude dans les files d’attente, la disposition des rayons, les étiquettes des promotions, les tentatives de séduction pour faire acheter toujours plus, les évolutions technologiques avec l’arrivée des scanners individuels… Ces observations ont provoqué chez elle de nombreuses réflexions sur ce qu’est devenue notre société de consommation, nos comportements individuels et collectifs, et il me sera difficile de les oublier lorsque désormais j’irai faire mes courses. Il se dégage de ce très court ouvrage une sensation étrange d’aliénation, de réassurance aussi, car on n’y manque de rien, mais surtout une sensation persistante de mélancolie, de ce temps qui passe et qui est marqué par le temps commercial, celui des grandes fêtes et des périodes de promotion, de ces jouets abandonnés en vrac dans un rayon et bradés à 50% deux jours après Noël.

“Le temps de l’attente à la caisse, celui où nous sommes le plus proches les uns des autres. Observés et observant, écoutés, écoutant. Ou simplement nous saisissant de manière intuitive, flottante.
Exposant, comme nulle part autant, notre façon de vivre, et notre compte en banque. Nos habitudes alimentaires, nos intérêts les plus intimes. Même  notre structure familiale. Les marchandises qu’on pose sur le tapis disent si l’on vit seul, en couple, avec bébé, jeunes enfants, animaux.

Exposant son corps, ses gestes, sa vivacité ou sa maladresse – son statut d’étranger quand on réclame l’aide de la caissière pour compter les pièces. Son souci d’autrui – en plaçant le séparateur de caisse derrière ses courses à l’intention du client suivant, en rangeant son panier vidé au-dessus des autres.

Mais en nous fichant au fond d’être exposés dans la mesure où l’on ne se connaît pas. Et la plupart du temps ne nous parlant pas. Comme s’il était saugrenu de lier conversation. Ou simplement impensable pour certains, avec leur air d’être là sans y être, pour signifier qu’ils sont au-dessus du gros de la clientèle d’Auchan.”