14 juillet 2019 – journal de bord d’une randonnée pas comme les autres
2h20 Le réveil sonne. Il faut bondir hors du lit pour ne pas se laisser happer par le sommeil qui réclame son dû, surtout un dimanche matin, jour férié de surcroît. Vite, sauter dans ses vêtements, soigneusement préparés la veille, vérifier que le sac contient tout ce qu’il faut, hésiter à prendre un pull supplémentaire, renoncer, hésiter, bon hop, ça ira bien comme ça.
2h45 Je démarre la voiture et m’engage dans les rues désertes. Les quelques véhicules que je croise sont probablement des vestiges du jour d’avant, des soirées étirées et éthylées du samedi soir. Leur jour se termine alors que le mien commence, sur le fil de la nuit.
3h15 Je roule dans une nuit opaque, au pied des volcans que je ne vois pas mais dont je sais la présence. Une biche, là dans le fossé à gauche. Je ralentis. Une autre biche, à droite cette fois. Je roule à 60 km/h, en scrutant le peu de route que délimitent mes phares. Une autre biche. Mais que fichent-elles dans les fossés, bon sang ? Je traverse des villages endormis. Un chat ! Je roule toujours à 60 km/h, en vérifiant sur le GPS que mon heure d’arrivée prévue ne bouge pas trop. Un hérisson ! Les lumières du Mont-Dore apparaissent enfin. Je suis arrivée, presque. Je tombe sur quelques voitures sur le départ, dont j’imagine, à raison, qu’elles se rendent au même endroit que moi.
3h45 La petite route qui serpente sur les hauteurs du Mont-Dore me paraît interminable. Je me gare enfin, au Salon du Capucin, où dansent déjà quelques lumières sur la tête de silhouettes sombres et méconnaissables. J’enfile mes chaussures de marche, je grignotte la tartine que j’ai préparée à la va-vite ainsi que deux abricots. Je n’ai pas vraiment faim mais il faut prendre des forces, appeler le sucre à la rescousse de cet effort inhabituel qui m’attend.
4h15 Les organisateurs, frontale vissée sur le crâne, font l’appel. Les trois guides, qui en ont vu d’autres, nous expliquent le déroulé de la matinée, comme si on partait en expédition. Nous avons rendez-vous avec le soleil, sur les crêtes du Sancy. Rien que ça. Et pour arriver à l’heure, il va falloir grimper. Grimper raide. Alors pas de temps à perdre, on se met en route, le soleil ne nous attendra pas.
4h30 La montée du sentier du Capucin se fait dans un silence aussi épais que l’obscurité qui nous enveloppe. Chacun se concentre sur le faisceau de sa frontale, pour ne pas trébucher sur un caillou ou une racine. Mais le rythme est rapide, certains font déjà une pause à mi-parcours de cette première ascension, haletants. Avancer dans le noir c’est être face à soi-même, son effort, sa respiration courte, sa transpiration, déjà, c’est ne pas savoir où on est, si on arrive bientôt, c’est la marche en pleine conscience contrainte et forcée. Je connais ce sentier, ça m’aide à contrôler mon effort. Je sais que bientôt, il y aura un peu de plat pour reprendre mon souffle. Je sais que plus haut, la vue me le coupera.
4h45 En fait non. La vue, c’est mieux quand il fait jour. Là il fait nuit noire. La seule chose que je distingue derrière moi c’est le serpent lumineux tressautant que forme notre chaîne humaine silencieuse sur le sentier. Sentier qui d’ailleurs est jonché de bouses fraîches alors on se concentre un peu.
4h50 Pause culturelle. On parle volcans, on parle étymologie du mot “puy”, tout ça sans en distinguer un seul. Mais l’occasion est inespérée pour respirer et boire un peu.
5h15 On s’élève, toujours à bon rythme, vers le sommet et le paysage forme des ombres chinoises sur un ciel qui commence à rosir dans le lointain, promesse d’une rencontre qui se rapproche, d’un rendez-vous attendu avec émoi. Plus je distingue les reliefs environnants, plus je trouve l’ascension facile, alors que, il faut bien le dire, cette portion est éreintante, avec ces poutres de bois à enjamber qui maintiennent le sentier tous les dix mètres.
5h40 Nous faisons une pause au puy de Cliergue, 1691 m d’altitude. Le panorama commence sérieusement à se dévoiler. On voit le puy de Dôme, au loin, tout rose. On aperçoit aussi le bout de notre chemin, encore dans l’ombre, et je mesure la distance qu’il reste à parcourir. Je me demande si je ne préférais pas évoluer dans l’obscurité, finalement… Ma frontale est désormais inutile et je découvre les visages de mes co-randonneurs car dans le noir, nous étions tous des lucioles anonymes. Nous reprenons notre route, en compagnie du vent qui s’est invité.
6h10 LE VOILÀ ! Il est là, rougeoyant, qui se hisse par-dessus les crêtes en face. Tout le monde sort son smartphone ou son appareil photo malgré les rafales de vent qui fouettent les visages et déséquilibrent les corps qui tentent de se maintenir sur ce sentier étroit bordé par des ravins. J’aimerais prendre plus de temps pour chaque cliché mais il faut avancer, le sentier est étroit et tout arrêt fait obstruction aux randonneurs qui me suivent.
6h30 L’ambiance est désormais tout à fait différente. La nature retrouve ses couleurs, le Sancy resplendit de verdure, les rochers s’enflamment, les œillets sont plus roses que jamais et ce lis martagon est insolent de majesté, sur sa crête en plein vent.
6h40 Les nuages s’invitent alors que nous touchons presque au but. Ils filent et se faufilent entre les rochers, installant dans ce décor déchiré une ambiance fantastique et mystérieuse. Les reliefs se devinent, se dévoilent furtivement avant de disparaître.
6h45 Voici l’heure du café et de la route croisée avec l’autre groupe, parti de Super Besse. Ils sont arrivés avant nous. Je descends les escaliers de bois qui mènent à la gare du téléphérique, où nous attend une boisson chaude, de la brioche de tome et des pâtes de fruit. Un réconfort bienvenu quand on prend conscience du froid qui, en ce 14 juillet, est particulièrement mordant sur le toit du Massif central.
7h30 On se sépare en petits groupes. Il faut affronter les éléments déchaînés et grimper jusqu’au sommet du Sancy, au point culminant, avant de pouvoir redescendre vers Super Besse. Le vent est violent, mordant, glacial. Je repense à ce petit pull supplémentaire que j’ai hésité à prendre et je me dis que ça n’aurait pas été du luxe. Mais je ne me plains pas, d’autres on choisi l’option short et petit K-Way et sont dans une posture des plus inconfortables. Le Sancy, c’est la montagne, il ne faut jamais l’oublier.
7h50 1886 m
8h15 Col de la Cabane. Un garde-nature de la Réserve de Chastreix nous attend pour nous expliquer les travaux de consolidation du sentier que nous venons tout juste de descendre. L’érosion, qu’elle soit naturelle ou liée au piétinement des 200 000 visiteurs annuels, est l’ennemie de nos volcans. On peut râler au sujet des escaliers de bois (800 marches), ou de ces énormes boudins de coco, mais sans eux, le Sancy “au naturel” aurait vraiment une sale gueule. Si votre passage, rapide, vous paraît anodin, et bien il ne l’est pas, une fois cumulé aux milliers d’autres. Respecter les sentiers est une nécessité pour conserver l’aspect des volcans et aussi pour préserver les plantes et insectes qui s’épanouissent parfois là où on pense qu’il n’y a que cailloux et herbes folles.
8h35 Notre guide s’arrête subitement sur le sentier. Des mouflons sont en contrebas. Des mouflonnes même, avec leurs petits. Sans son oeil affûté, nous les aurions manqués.
9h15 On arrive sur les hauteurs de Super Besse. Retour à la civilisation. Nous descendons au milieu des télésièges et des télécabines, et aussi au milieu des brebis qui assurent l’entretien des pentes.
10h15 Terminus, sous un beau soleil, à Super Besse. Les touristes se baladent, c’est le début de leur journée, tandis que nous sommes éreintés de notre escapade dans un monde parallèle. Un bus nous récupère pour nous ramener au Mont-Dore, il faut compter presque une heure de route mais c’est une des plus belles d’Auvergne alors ça va, on garde un œil ouvert, on dormira plus tard. Dans le bus, applaudissements nourris pour les équipes du Conseil départemental du Puy-de-Dôme qui ont organisé l’événement et contribué, dès 4h du matin, à ce que tout se passe parfaitement.
12h Me voilà rentrée. Je me douche. J’avale un morceau. Et je me couche, le visage encore brûlant de la morsure du vent.
Événement organisé par le Conseil départemental du Puy-de-Dôme le 14 juillet 2019, dans le cadre de la promotion de l’itinéraire la Boucle du Sancy, disponible en trois versions (39, 57 et 82 km). Un grand merci pour l’accueil et l’organisation parfaite.
http://www.planetepuydedome.com/articles/la-boucle-sancy-206-1.html
oh waouw !!!!
J’aurai adoré y participer ! Merci pour ce récit et ces superbes photos, et bravo pour cette belle aventure !
:)
Merci ! :) On espère une autre belle aventure l’année prochaine !