Quoi de plus naturel qu’une balade en forêt ? On l’a tous expérimentée à de multiples reprises dans notre vie, nul besoin de mode d’emploi pour mettre un pied devant l’autre sur un sentier forestier. On sait comment faire, et on sait pourquoi on y va : parce qu’on se sent mieux après. Certes mais pourquoi ? Parce qu’inconsciemment, nos sens et nos corps enregistrent des informations qui nous procurent du bien-être : luminosité, camaïeu de verts, chants d’oiseaux, bruit du vent dans les feuilles, odeurs d’humus, de pin ou de plantes sauvages… tous ces signaux sensoriels concourent, sans qu’on sache trop pourquoi, à l’amélioration de notre santé, physique et mentale, comme la réduction de l’hormone du stress ou la baisse de la tension artérielle. Alors pourquoi ne pas chercher à intensifier cette connexion aux éléments, en transformant une simple balade en exercice de pleine conscience et d’élan spontané vers cet environnement qui nous fait tant de bien ?
C’est ainsi que sont nés les bains de forêt, ou sylvothérapie, d’abord au Japon (le shinrin-yoku) avant de séduire le reste du monde (du moins la partie du monde qui a le loisir d’envisager ce type d’activité) et la station du Mont-Dore, avec l’installation cette année du premier sylvatorium de France. Et c’est quoi ? C’est un petit parcours pédestre, sur le Capucin, ponctué de baignoires en bois façon spa et de panneaux informatifs élaborés par l’ONF, invitant à vivre l’expérience bienfaisante du bain de forêt.
A l’occasion des Journées mondiales du bien-être (Word Wellness Weekend), j’ai participé à un bain de forêt au Mont-Dore, sur le site du Capucin (lieu des expériences les plus folles en ce qui me concerne : via ferrata, rando nocturne…), mais pas dans le sylvatorium, afin de préserver la tranquillité du groupe. Céline Montero, formatrice en environnement et animatrice nature, a accueilli un petit groupe de curieux afin de partager avec eux quelques exercices simples mais particulièrement bienfaisants. Que ce soit un travail individuel ou collectif avec les autres participants, chaque exercice propose une approche différente de la forêt, avec parfois quelques surprises émotionnelles pour certains.
Après une courte marche silencieuse sur le sentier depuis le parking, Céline a bifurqué dans la forêt pour commencer la pratique : massage des mains à l’aide de pommes de pin, évacuation des pensées parasites pour une mise en condition… avant une marche très lente de 30 mn. Chacun était invité à divaguer dans la forêt, à allure très très lente, en laissant ses pas le guider vers des secteurs plus attrayants que d’autres. Certains préfèrent les sols moussus, d’autres recherchent les feuillus plutôt que les conifères… pour ma part j’ai attaqué l’exercice avec la bête peur de me perdre, de ne pas retrouver le groupe, puis mon radar m’a menée vers un petit feuillu paré de ses belles couleurs d’automne, tranchant avec le reste de la végétation alentour. Bon, alors j’avoue, j’ai pris quelques photos. Pas beaucoup. Mais idéalement, pour ce genre d’exercice, mieux vaut éviter les sollicitations numériques (j’étais toutefois en silencieux et en mode avion, comme presque toujours lorsque je randonne). Après cet arbre, je ne pensais plus à me perdre, j’étais en confiance et j’ai donc pu me concentrer sur d’autres sujets, comme ces pommes de pin grignotées et dont les reliefs trônent généralement sur des promontoires comme des souches ou des cailloux. Je me suis dit que j’avais pénétré un lieu de vie qui n’était pas le mien, alors que ses locataires étaient absents. La forêt a pris pour moi des allures de quartier résidentiel pour écureuils, oiseaux et tant d’autres espèces minuscules ou majestueuses qui bruissent sous les feuilles ou nous observent à distance envahir leur salon et leur jardin. Et alors que je me sentais intruse, en situation d’effraction, mon regard a accroché ce point orange, à travers les arbres, plus loin sur le sentier principal. J’ai ressenti comme une décharge dans ma moelle épinière. Me croyant humaine en situation d’effraction, une menace potentielle pour les animaux, je me suis tout à coup sentie proie. Animale. Et ce avant même d’avoir identifié clairement cette forme orange que mon instinct, lui, avait reconnue. C’était un chasseur. Ils étaient deux, avec un fusil bien en vue, et un chien qui ne cessait de dresser l’oreille dans notre direction, aboyant par intermittences. Figée dans le bois, je ne les ai pas quittés des yeux, ne leur ai tourné le dos à aucun moment. Je les voyais mais je suis certaine qu’ils ne nous voyaient pas, et je sentais mon rythme cardiaque s’accélérer en même temps qu’ils se rapprochaient de moi, de nous, proies silencieuses dispersées dans la forêt. Cet incident a coïncidé avec la fin de l’exercice, signalé par Céline grâce un youyou d’indien permettant de nous retrouver grâce au son. L’exercice s’est terminé par un tour, non pas de table, mais de bâton de parole, où je n’ai pu m’empêcher de livrer ces dernières minutes de stress intense, dont il m’a fallu un moment pour me défaire. Sur le coup, j’étais en colère car je me disais que je n’étais pas venue là pour vivre une montée de cortisol (la fameuse hormone du stress), et puis avec le recul, je me dis que j’ai vécu une expérience de la forêt particulière, animale, fusionnelle.
Pour l’exercice suivant, nous nous sommes mis deux par deux, l’un guidant l’autre, les yeux bandés, dans la forêt, vers un arbre choisi par chaque guide. Une fois devant son arbre, le participant aveuglé devait le saluer, et entrer en contact avec lui. Contact qui se fait comme chacun le sent : toucher du bout des doigts ou enlacer, palpations ou contact fixe. Puis, une fois revenus au point de départ le bonus était d’aller rechercher “son” arbre en essayant de se rappeler le trajet sensoriel pour l’atteindre ainsi que son allure. Je n’ai eu aucune réticence à toucher mon arbre lorsque j’avais les yeux bandés. Ce n’est que lorsque je suis retournée le voir que j’ai réalisé que j’avais probablement plongé allègrement les mains dans des toiles d’araignées, manquant peut-être embrasser au passage quelque bestiole qui m’aurait rebutée si j’avais eu les yeux ouverts. Mon arbre, sachez-le, est très beau, avec d’énormes racines protubérantes d’un seul côté et dotées d’un tunnel fort pratique permettant sans doute à quelque animal d’y gîter.
Pour conclure cette matinée, Céline nous a conviés à partager un petit encas constitué d’une infusion d’épicéa (qu’elle avait ramassé au début de la randonnée et glissé dans son Thermos), délicieuse découverte pour ma part, et d’un beurre d’épicéa qu’elle avait préparé la veille. Manger et boire la forêt, pour ne plus faire qu’un avec elle !
Ma journée au Mont-Dore aurait dû se poursuivre l’après-midi avec une randonnée mais des trombes d’eau se sont abattues sur le Capucin, rendant l’exercice aussi difficile que désagréable. Mais cette eau était attendue, bienvenue, je lui ai volontiers cédé la place.
Un grand merci à Céline pour cette première expérience de bain de forêt, pour sa gentillesse, son écoute et sa bienveillance. Merci également aux participants, tout aussi bienveillants et ouverts d’esprit, qui ont contribué à faire de cette matinée un espace d’échange enrichissant et parfois émouvant.
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Céline était conviée à présenter les bains de forêt lors d’un TEDx ESC Clermont
Une nouvelle session de bain de forêt associée à de la marche de pleine conscience est prévue le 20 octobre en forêt de la Comté, laissez-moi un message si vous voulez que je vous transfère les infos plus précises.
Lectures complémentaires :
www.lemonde.fr/m-perso/article/2018/04/22/le-bain-de-foret-comme-therapie_5288892_4497916.html
http://theconversation.com/pourquoi-la-nature-nous-fait-du-bien-les-scientifiques-expliquent-92959
www.sancy.com/equipement-loisirs/sylvatorium/