Marie-Hélène Lafon a le don de s’emparer de destinées a priori insignifiantes pour en extraire le suc le plus intense, les saveurs les plus aigres-douces. J’avais, avec Nos vies, été emportée par Madame Santoire et par la caissière du Franprix, et j’ai été une nouvelle fois happée par cette saga familiale de l’Histoire du fils.
Que peut-il bien se tramer dans une famille du Lot et dans une autre du Cantal, quelle trajectoire bancale va les amener à s’entremêler sur un siècle ? Cent ans, c’est long, surtout dans un XXe siècle perforé de deux guerres qui ont laissé des traces indélébiles dans les villages les plus reculés de France. Au cœur de ce siècle, il y a André. André est le fruit d’une histoire familiale aussi complexe que bienveillante, il est le fruit de l’Histoire tout court et lui-même produira des fruits qui auront le goût de toutes ces années qui les auront précédés, sans même en connaître tous les méandres. Les drames, les secrets autant que les petits bonheurs posent les jalons des destinées d’André, Gabrielle, Paul, Armand et tous les autres.
Cette saga familiale ressemble sûrement à l’histoire de beaucoup de familles françaises mais ce qu’en fait Marie-Hélène Lafon est plus qu’un simple récit, c’est un hommage. Un hommage à ces femmes et ces hommes qui avancent dans l’existence avec aplomb, acceptent les coups du sort et savent en plus les transcender pour en sortir quelque chose de bon, pour eux-mêmes et pour l’avenir. Alors bien sûr, ces portraits si attachants doivent beaucoup à la plume un peu magique de l’autrice, qui va fouiller les cœurs et les âmes à leur place puisque la plupart ne sont pas très doués pour toutes ces choses-là. On retrouve évidemment ce style précis, élégant, brodé de fils scintillants de poésie, qui souffle un vent de romanesque sur une vie pas si ordinaire.
Marie-Hélène Lafon a du style et de la grammaire. Ses phrases épurées font merveille dans la narration de la vie qui passe, faits banaux lorsqu’ils sont pris séparément mais qui enchevêtrés délivrent une belle puissance psychologique.
Le temps déstructuré des chapitres a provoqué en moi un vertige lié à l’interchangeabilité des existences. Petit à petit les vies se mélangent, on confond les personnages, les époques et les lieux. Nos existences sont semblables et s’écoulent dans le même lit du temps, inlassablement répétées.
Vertige, vertige…
J’ai beaucoup aimé.
@Romain : ah oui pareil pour l’enchaînement des chapitres, j’ai dû revenir en arrière plusieurs fois pour bien imprimer les dates et les prénoms :)