Joseph

Je me répète sûrement mais Marie-Hélène Lafon a ce talent, ce don si particulier de sublimer les vies les plus simples. Après Nos vies et Histoire du fils, j’ai lu Joseph, un court roman qui nous transporte au cœur du Cantal agricole, dans les bottes de cet ouvrier taiseux, timide, mais travailleur. A l’approche de la retraite, on revient, non pas sur les plus belles images de sa vie, mais sur tous ces événements, petits ou grands, qui ont fait de lui l’homme qui l’est. La mère, le père, le frère, l’absence d’affection, l’indifférence, l’amour et la désillusion, le travail, les bêtes, les patrons, la boisson. C’est la vie qui défile, qui file plus vite que prévu. Et à la fin, qu’en reste-t-il ?

Marie-Hélène Lafon nous offre une vision intime de la vie rurale, une vision sans fard, souvent amère, parfois cruelle, mais aussi douce et bienveillante. Ce qui nous emporte dans ce récit, c’est le flow. Je ne sais pas comment le dire autrement. Le mot “style” est trop vague. Marie-Hélène Lafon a un flow de ouf. Elle pourrait slamer Joseph. Avez-vous déjà entendu Marie-Hélène Lafon slam…euh parler ? Je vous invite à écouter son échange avec Augustin Trapenard (le Bourbonnais) il y a quelques mois dans Boomerang sur France Inter, où j’ai été fascinée par sa diction, son phrasé, ses intonations, sa précision du verbe, sa voix qui force l’attention autant que le respect. Et c’est tellement beau, ce qu’elle dit (“les hivers qui commencent le 15 août” => meilleure pub pour le tourisme ahah). Joseph sonne comme ça, c’est saccadé autant que fluide, le temps s’étire l’espace d’un dîner devant la télé et se rétrécit autour des années de brouillard éthylique. 

“Il aimait bien les soirs, on restait devant la télévision, on ne la regardait pas forcément, on l’entendait, on était les trois dans son bruit, des images apparaissaient, disparaissaient, en fortes couleurs qui circulaient dans la pièce autour des corps, on baignait dans ces images, on était traversé par elles, on attrapait des morceaux, on sentait que le monde était vaste autour de la ferme et de ce pays tout petit dans lequel on aurait vécu”

“Quand ces années, avec la peur, le manque de tout, l’abandon, et les cures, remontaient au milieu du reste, Joseph se demandait encore comment il avait pu sortir de cette misère, pour lui il appelait ça la misère, et il n’en parlait à personne. La peur restait dans un coin de lui, il la sentait ; quand elle remuait, il fallait vite penser aux listes pour s’endormir si on était au lit, ou se jeter dans un travail qui occupait vraiment ; ça passait, tout rentrait dans l’ordre, et il tenait, il se tenait bien, il faisait attention, il s’appliquait ; il avait senti en arrivant que cette ferme serait un bon endroit pour tenir, surtout avec cette patronne qui avait l’œil et ne laissait rien aller de travers.”

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1 Comment

  1. Sou après sou il avait mis de côté ce qu’il fallait pour son enterrement.
    Pour mourir dans la dignité. Ou juste parce que c’était ce qu’il fallait faire.
    Il savait que personne d’autre ne le ferait pour lui et peut-être ne le désirait pas.

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