Vous ne connaissez pas Alexandre Vialatte ? Vous ne souhaitez pas mourir dans l’ignorance de cet écrivain de génie ? Vous avez tellement raison que je vous embrasse, tiens. Je vous conseille ici deux ouvrages pour bien démarrer ce qui deviendra, je n’en doute pas, une grande histoire d’amour.
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Je crois que pour ma part, ma plus grande erreur avec Vialatte aura été de débuter avec Les fruits du Congo, l’un de ses rares romans. Je n’étais pas prête. Je suis passée à côté, c’est évident. Une belle connerie. Ferny Besson affirme qu’ “il demande au lecteur un effort, si possible du talent”. Bon. Voilà qui est entendu pour mon matricule. Alors que j’avais sur mes étagères tout un tas de recueils de chroniques qui me tendaient les bras ! Bon. Mais rien n’est perdu, la preuve. J’ai lu ces deux ouvrages, que je vous conseille pour débuter avec Vialatte, pour en saisir toutes les nuances, ou du moins, tenter, car c’était un personnage complexe, inclassable et pour moi, disons-le, un génie littéraire.
Alexandre Vialatte ou la complainte d’un enfant frivole, par Ferny Besson
Ferny Besson, outre le fait qu’elle était une amie proche de Vialatte, était aussi la grand-mère d’Eric Besson, l’homme politique, qui se trouve avoir eu pour parrain Alexandre Vialatte himself. Bref, c’est pas le plus intéressant dans cette biographie, loin s’en faut. Il s’agit de la toute première biographie de Vialatte jamais parue, au début des années 1980. Vialatte est mort en 1971 et il faut bien dire ce qui est, dans l’indifférence générale. Il aura été selon ses propres termes, un auteur “notoirement méconnu” et cette biographie nous aide à y voir plus clair dans son parcours. Sa naissance en 1901, son enfance en Auvergne, du côté d’Ambert, qu’il ne cessera de chérir toute sa vie, ses années d’internat, son amitié infinie pour Henri Pourrat, ses années en Allemagne avant la guerre, ses traductions de Kafka, son retour en France, sa mobilisation et le traumatisme absolu de la guerre, son retour et la résilience, ses chroniques pour La Montagne, sa procrastination permanente, et pour finir, sa mort, en 1971 donc. Cette biographie débute par la citation d’un article de Jean Dutourd, quelques jours après la mort de l’auteur : “Dans une trentaine d’années, le modeste, l’obscur Vialatte sera mis à sa place, qui est immense, et divers grands hommes d’à présent paraîtront bien incroyables. Toute époque a mauvais goût, la nôtre comme les autres. Mais on ne le sait que trente ans plus tard”. Comme tout ceci est désespérément vrai. Quelle injustice. Et puis ce qu’on apprend dans cette bio, c’est que ce n’était pas avec sa modestie qu’il allait partir à la conquête de la notoriété ! Curieux à l’excès, attentif, généreux, rêveur… il n’avait rien d’un animal mondain et ça ne le rend qu’encore plus admirable à mes yeux. Parmi les faits intéressants qu’on apprend de sa vie privée, c’est qu’il a épousé Hélène Gros-Coissy, qui a créé le service social des usines Michelin à la fin des années 1920, et que leur union a été très particulière, très éloignée, mais très forte, comme leurs deux personnalités. On apprend aussi que Vialatte a été l’invité de l’émission “L’invité du dimanche”, en février 1969, ce qui m’a poussée à rechercher des archives vidéo. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai regardé ces images, très rares donc, puisque tout le monde se fichait bien de Vialatte (beaucoup moins après cette émission d’ailleurs, puisqu’il y a brillé par son intelligence et sa répartie). J’ai également été ravie de l’analyse de Ferny Besson au sujet de l’orientation politique de Vialatte ! Quelques jours avant de lire ces pages, je suis tombée sur un article du Figaro (des articles paraissent un peu partout en ce moment, en raison de la réédition d’un certain nombre de textes), qui glissait l’air de rien que Vialatte était de droite. Ça m’a fait bondir. Scandaleuse récupération ! Quel n’a pas été mon soulagement en lisant les mots de Ferny Besson ! Enfin… les mots… trois pages pour défendre son ami de toute récupération partisane. Vialatte était très croyant, très attaché aux grandes valeurs, mais de là à en tirer une orientation politique…
“Mélanger politique et littérature, ce n’est pas seulement mélanger hypocritement les genres, c’est aussi faire triompher dans l’information littéraire l’ignorance et la lâcheté, y introduire la terreur – le fameux coup de pistolet dans un concert. Classer Alexandre Vialatte “à droite” et finir par le qualifier dans un journal de “phallocrate, misanthrope et méchant” devrait raisonnablement faire rire aux éclats, tant ces épithètes sont si exactement à l’opposé de la vérité et ne semblent relever que d’un curieux dérèglement de l’esprit.” Je suis tout à fait d’accord, même si je n’ai pas tout lu de lui, bien loin de là. Non mais “méchant”… pour qualifier un homme dont les mots, la fantaisie, la poésie me tirent parfois les larmes et si souvent le rire… Non, non et re-non.
Le livre est préfacé par son fils Pierre, qui était à l’inauguration du tout nouvel hôtel littéraire Alexandre Vialatte qui a ouvert à Clermont fin 2016 (relire mon article). Il s’attache à faire vivre la mémoire de son père, ses écrits et sa personnalité si admirable.
Pour voir un extrait de l’émission « L’invité du dimanche » (déso, le player embed marche uniquement dans le dashboard, very useful…) > http://www.ina.fr/video/I05234347
Alexandre Vialatte, un abécédaire, par Alain Allemand
Transition toute trouvée pour vous parler de cet ouvrage indispensable complémentaire à la lecture de la biographie de Ferny Besson, puisque cet abécédaire m’a été offert précisément lors de l’inauguration de l’hôtel. Alain Allemand a sélectionné chroniques et extraits de romans pour brosser un portrait de Vialatte à partir de ses sujets de prédilection, classés de A à Z. Évidemment ça ne se lit pas comme un roman, mais je vous conseille vivement de lui trouver une place de choix sur votre table de chevet, pour picorer quelques lignes avant de vous endormir et prendre une bonne bouffée de poésie et d’humour après une journée terne et sans relief. Ce recueil est évidemment impossible à résumer mais vous y trouverez tout ce qui caractérise Vialatte, sa poésie, sa mélancolie, son humour, absurde parfois. Je peux comprendre qu’on soit désarçonné par cette façon d’écrire, comme un fil qu’on tire sans savoir ce qu’on va trouver au bout, comme un voyage qui tout à coup fait une sortie de route et se poursuit à travers champs, comme si de rien n’était. Pour moi c’est la perfection stylistique, je prends un plaisir indescriptible à ces embardées poétiques, je suis touchée comme jamais par la lucidité mélancolique de Vialatte, son regard sur le monde. Et son regard sur l’Auvergne évidemment, partout, tout le temps, les hommes, les montagnes, l’authenticité. Le prisme Vialatte rend l’Auvergne encore plus belle, idéalisée sûrement, comme ce puy de Dôme qu’il a agrandi de quelques centaines de mètres, mais on a envie de se jeter dedans. Je vais d’ailleurs courir à Ambert, Saint-Amant-Roche-Savine et autres lieux fréquentés par Vialatte, dès que la météo sera plus favorable, afin de retrouver les quelques traces énumérées par Ferny Besson dans sa biographie. J’ai fait l’acquisition de Gaspard des Montagnes, de Pourrat, qui est un pavé que je voudrais avoir lu avant de faire cette expédition, afin de faire d’une pierre deux coups. J’ai déjà dit que je voulais faire un pèlerinage à Saugues, sur le traces de Robert Sabatier, je vais beaucoup pèleriner cette année.
Que ce soit dans la biographie de Ferny Besson ou dans l’abécédaire, j’ai collé un nombre insensé de post-it et encore, je me suis retenue. Tout m’émerveille.
Je vous conseille vivement de rejoindre le groupe public sur Facebook, consacré à Vialatte. Il vous offrira régulièrement quelques parenthèses enchantées dans vos mornes journées.
Notez également que des rééditions sont en cours, notamment « Résumons-nous » et l’intégrale des chroniques de La Montagne. Idées cadeaux pour mon anniv *wink wink*. On (re)découvre Vialatte et compte tenu de l’état du monde, c’est un peu une évidence. On a besoin d’humour, d’absurde, d’intelligence fine, de vérités fulgurantes, de poésie. De poésie surtout.
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“La femme se compose essentiellement d’un chignon et d’un sac à main. C’est par le sac à main qu’elle se distingue de l’homme. Il contient de tout, plus un bas de rechange, des ballerines pour conduire, un parapluie Tom Pouce, le noir, le rouge, le vert et la poudre compacte, une petite lampe pour fouiller dans le sac, des choses qui brillent parce qu’elles sont dorées, un capuchon en plastique transparent, et la lettre qu’on cherchait partout depuis trois semaines.
Il y a aussi, sous un mouchoir, une grosse paire de souliers de montagne. On ne s’expliquerait pas autrement la dimension des sacs à main.”
“ “Tous nos malheurs, a dit Pascal, nous viennent de ne pas vouloir rester dans notre chambre.” La pluie fine nous y retient. Nous descendons alors au plus profond de nous-mêmes par de petites échelles de fer, des escaliers glissants, et des couloirs humides. Nous y trouvons, à droite, nos souvenirs de régiment et, à gauche, nos souvenirs scolaires. Plus bas encore les pires instincts. Plus bas encore des ténèbre incroyables, dans des oubliettes effrayantes, dans des cloaques qu’on se refuse à nommer, des fantômes si griffus, des monstres si velus et des larves si chauves que nous remontons à toute vitesse et nous nous replions en désordre. Car l’homme fait toujours peur à l’homme quand il le rencontre en lui-même.”
“Le puy de Dôme, moralement, est bien plus haut que lui-même. […] N’hésitons pas à lui donner mille ou deux mille mètres de plus. Il faut impressionner les Suisses. Nous aurons pour nous la morale et le commerce y gagnera. […] Quant à moi, je mourrai satisfait, ayant doté le pays de mes aïeux de la plus haute de ses montagnes.”