Je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises de Cyril Pedrosa, pour Autobio, Les trois ombres ou Les équinoxes. Je n’avais pas parlé (je ne crois pas, du moins) des Cœurs solitaires parce que j’avais un peu moins aimé mais bon, je reste fan de cet auteur de BD. Cette fois-ci il revient avec le premier tome d’une nouvelle aventure, L’âge d’or, écrit avec sa compagne Roxanne Moreil.
Les premières pages donnent le ton… et le vertige. De splendides doubles-pages richement illustrées ouvrent cette histoire et posent le décor, médiéval, de cette épopée aussi politique que fantastique. Je dois admettre que j’ai un peu patiné au début de cette lecture et ai eu du mal à rentrer dans la narration… à cause de ces dessins foisonnants de détails, de précision, de couleurs et disons-le, de beauté hypnotique. En tournant les pages trop vite (il n’y a souvent que quelques mots à lire dans les bulles, parfois aucun), j’avais l’impression de manquer de respect au travail de titan, de titan orfèvre, mis en oeuvre sur chaque page, dans chaque case. Tapisseries électriques, enluminures pop, les fresques incroyables rappellent ces “histoires” en plusieurs épisodes accrochées aux murs des châteaux, préfigurant la narration en cases de nos BD actuelles.
Dans un pays découpé en grands territoires dirigés par de puissants seigneurs, le roi meurt, laissant derrière lui une épouse à poigne et deux enfants. Tilda, l’héritière du royaume, s’apprête à succéder à son père et à mener de grandes réformes pour relever le pays en souffrance. Elle trouve le soutien d’un vieil ami, Tankred, prêt à l’accompagner dans cette tâche difficile. Mais Tilda se fait doubler par son jeune frère, qui la force à l’exil et entend bien mener le pays à la baguette avec des seigneurs sanguinaires. Dans son exil, Tilda fait la connaissance d’une drôle de communauté, autogérée par des femmes, qui donne le ton de ce qui pourrait être une société idéale, un paradis perdu qui aurait existé il y a bien longtemps : l’âge d’or.
On pourra lire cette aventure, ce conte fantastique, au premier degré mais bien évidemment la double-lecture s’impose. Tout en subtilité. Les jeux de pouvoir sont intelligemment mis en lumière, la jeune Tilda réformatrice qu’on admire et soutient au départ n’est-elle finalement qu’une copie édulcorée de ses parents, déterminée à conserver le pouvoir pour son seul usage ? Les vendeurs de rêve sont-ils quant à eux à suivre aveuglément, pour atteindre un âge d’or dont on ne sait rien ? On ne peut que faire des parallèles avec les joutes politiques contemporaines et ce premier tome n’en est que plus profond et intéressant à dérouler. On notera également la présence d’un message féministe fort avec le personnage de Tilda bien sûr, mais aussi avec ces femmes qui vivent en communauté.
Le deuxième tome est annoncé pour le premier trimestre 2020. L’attente va être longue vu que le premier s’achève sur un superbe cliffhanger.
L’âge d’or a été largement soutenu par France Inter depuis l’été dernier, tant et si bien qu’il a reçu le prix de la BD Fnac-France Inter 2019. Je vous invite à consulter les sites ci-dessous si vous souhaitez aller plus loin dans la découverte, avec notamment de longues interviews éclairantes sur L’âge d’or.
(article écrit en écoutant l’album Ark de Brendan Perry, dont l’ambiance se prête merveilleusement bien au sujet, avec un souffle épique teinté de psychédélisme envoûtant)
Sur France Inter
Le site de l’éditeur : https://www.dupuis.com/seriebd/l-age-d-or/14267