Je vous avais déjà parlé de Sylvain Forge, à l’occasion de ce roman dont il avait situé l’intrigue à… Clermont-Ferrand.. Ça s’appelait “Sous la ville” (relire mon article). Et bien Sylvain Forge a reçu le prix du Quai des Orfèvres 2018 pour ce polar “Tension extrême” ! J’avoue que, comme je lis très peu de polars, je ne connaissais pas ce prix, pourtant fondé en 1946 (shame on me) pour les romans policiers en français. Le président du jury est le Directeur de la Police judiciaire (le vrai, au 36 quai des Orfèvres), et le résultat est proclamé par le Préfet de police. Ça rigole pas, dis donc ! Vous pouvez envoyer votre manuscrit (qui sera lu anonymement (ça rigole vraiment pas)) avant le 15 mars de chaque année, pour tenter de gagner un prix de 777€ et votre polar édité en 50000 exemplaires chez Fayard. Je ne suis pas très “prix” habituellement mais je reconnais que le fonctionnement de celui-ci est plutôt pas mal du tout : ouvert à tous, anonyme, jugé par un paquet de professionnels (clique, tu vas halluciner) non pas des salons littéraires mais de la police ou de la justice (dont l’œil est clairement trèèèès affûté). Ça m’a l’air sacrément plus objectif que les prix habituels que se disputent les grandes maisons d’édition à chaque rentrée littéraire. Ceci dit, que le Directeur de la Police judiciaire n’ait que ça à faire de bouquiner des manuscrits anonymes entre mars et octobre, ça me laisse songeuse… Bon, on va dire qu’un flic, ça dort pas beaucoup la nuit, ça planque des heures dans des bagnoles en mangeant des donuts (hein quoi ? Je regarde trop de films ? Ah…). Bref.
Donc ben voilà, félicitations à Sylvain Forge, c’est la classe ! Et j’ai englouti son roman en un week-end, un vrai “page turner” comme on dit.
Tout commence à Nantes, avec le décès simultané de deux frères jumeaux à deux endroits différents. C’est en soi assez étrange, et ça l’est d’autant plus lorsqu’on apprend qu’ils étaient chacun porteur d’un pace-maker… qui a explosé. Exactement à la même heure. Voilà qui va donner de quoi réfléchir à la police de Nantes, qui va tirer sur un fil et finir par… détricoter la toile, rien que ça. Isabelle Mayet, Christian Charolle, Ludivine Rouhand et bien d’autres à la brigade criminelle, mais aussi aux plus hauts niveaux de l’Etat, vont se lancer dans une chasse à l’homme comme ils n’en ont jamais connue et qui va leur ouvrir les yeux sur un danger qu’ils ignoraient jusqu’à présent : le pouvoir d’une intelligence artificielle lâchée sur le réseau touffu des objets connectés. Sylvain Forge creuse de manière très documentée ces questions de la cyber-criminalité et n’hésite pas à pousser très loin les possibilités qui ne sont plus désormais du domaine de la science-fiction. Tout autour de nous tout est de plus en plus connecté, de notre PC jusqu’à notre smartphone évidemment, en passant par nos voitures, nos serrures, nos frigos, notre électricité… et tous ces objets, parce qu’ils “communiquent” avec d’autres objets distants, peuvent être en théorie hackés. Et à partir du moment où les objets du quotidien vous espionnent et peuvent devenir des armes par destination… rien ne va plus, la civilisation toute entière peut se retrouver réduite au chaos. Il a fallu que je me replonge dans les lois d’Asimov, citées brièvement dans un passage du roman et que j’avais oubliées, pour me rendre compte que les intelligences artificielles pouvaient largement s’en dispenser en effet. On est loin du pauvre Hal de 2001 l’Odyssée de l’espace (Kubrick), qui même désobéissant à son créateur a pu être débranché sans autre forme de procès. Nan mais oh. (note pour plus tard : revoir ce film, que j’aime beaucoup)
Sylvain Forge insuffle à ce polar un rythme tendu, sans digressions inutiles mais sans perdre non plus le lecteur dans des considérations trop techniques, je me suis vraiment laissée emporter.
Cette intrigue m’a évidemment rappelé Black Mirror, cette série d’anticipation qui, elle aussi, pousse loin les projections les plus folles sur ce que pourrait devenir, dans un avenir très proche, notre société ultra-connectée. Il en ressort un profond malaise car nous ne sommes plus en face de science-fiction, la menace est déjà là et nous l’accueillons à bras ouverts dans nos foyers. Perso, je me demande parfois si mon smartphone ne m’écoute pas lorsqu’il est sagement posé à côté de moi. Il m’est arrivé de recevoir des publicités en rapport avec des produits que je n’avais pas du tout recherchés sur Google, mais que j’avais évoqués à voix haute avec mes collègues de bureau. Coïncidence, paranoïa… Il suffit d’avoir vu le documentaire consacré à Edward Snowden (relire mon article sur Citizenfour, éclairant), et de voir ses propres précautions, pour se dire que tout est envisageable (et possible) désormais. Il faudra me payer cher, très cher, pour que j’installe chez moi ce fameux Google Home… (dit-elle en écrivant cette phrase sur un Google doc avant de l’envoyer sur son blog que Google se fera un plaisir de référencer (et puis je suis certifiée Google Digital Active, il ne peut plus rien m’arriver d’affreux, maintenant)).